GENERALITES

– – – – – – – – – – – – Présentation et résumé

– – – – – – – – – – – – Pertinence de la recherche

– – – – – – – – – – – – Témoignages académiques

– – – – – – – – – – – – Table des matières détaillée

– – – – – – – – – – – – Fichier PDF de la recherche


RECHERCHE

– – – – – – – – – – – – Introduction et interrogations

– – – – – – – – – – – – Cadre théorico-méthodologique

– – – – – – – – – – – – Terrain : les récits de voyageurs

– – – – – – – – – – – – Interprétation et analyse des récits

– – – – – – – – – – – – Conclusion / Appendices / Biblio.


DIVERS

– – – – – – – – – – – – Travaux de recherche 2008-2009

– – – – – – – – – – – – Bricolage de pensées 2008-2010

– – – – – – – – – – – – Citations : sources d’inspiration

– – – – – – – – – – – – Quelques photos de voyageurs



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Toute vie véritable est rencontre (M. Buber)




Martin Buber. 1923. Je et Tu. 
Paris : Éditions Montaigne.


Le philosophe Martin Buber pour qui « toute vie véritable est rencontre » (p.13) développe dans ce livre le concept de « vie dialogale » où l’homme et Dieu (le Tu éternel) occupent une place centrale et singulière. L’être humain « bubérien » est par essence homo dialogus et ne peut s’accomplir sans communier avec l’humanité, la création et le Créateur.
Dans cet ouvrage, Martin Buber présente la dualité du monde pour l’homme avec d’une part la relation Je-Tu et, d’autre part, le rapport Je-Cela. Dans un rapport Je-Cela, on ne s’intéresse qu’à une seule facette de l’individu (le physique, la tenue, etc.) alors que la relation Je-Tu est une vraie rencontre et met en jeux la totalité de la présence. Pour que cette rencontre se produise, il faut être ouvert, disponible et prêt à la vivre. Le Je-Tu ne se maîtrise pas ; la rencontre surgit. Néanmoins, le Je-Cela n’est pas méprisé par Buber, il fait aussi parti de la vie, mais la réalité ne se réduit pas au Je-Cela car l’individu a besoin du Je-Tu pour se reconnaître.

Résumé du chapitre 1 : « Les mots-principes »
« Il n’y a pas de Je en soi » (p.7). Les couples de mots Je-Tu et Je-Cela (Cela = Il ou Elle) impliquent que l’homme qui prononce Je veuille dire soit Tu soit Cela ; de même dire Tu ou Cela suppose le Je. L’homme, qui a en lui une connaissance empirique des choses, expérimente le monde en tant que Cela mais ne participe pas au monde. Au-delà du Cela, celui qui dit Tu est dans la relation. Un Cela (un arbre par exemple) cesse d’être Cela et devient Tu lorsque le Je entre en relation avec lui. Ainsi, le mot-principe Je-Tu, qui ne peut être adressé que par l’être intégral (c’est l’acte essentiel), fonde le monde de la relation. Ce dernier (le monde de la relation) s’établit dans trois sphères : celle de la vie avec la Nature (relation sans langage), celle de la vie avec les hommes (relation manifeste, explicite, de partage) et celle de la vie avec les essences spirituelles (relation génératrice de langage, de pensées, d’actions). Le Tu (re)devient Cela dès lors que je sors de la relation, dès lors que je le connais de nouveau par l’expérience (l’expérience étant l’éloignement du Tu). Ainsi, le Tu ne peut pas être connu d’expérience ; ce n’est que lorsque je le réalise et le découvre qu’il devient Cela, expérimentable et descriptible. Alors que la relation avec le Tu est immédiate, que cette présence naît du fait que le Tu est présent, le Cela n’est qu’objet issu du passé. J’expérimente donc le Cela et vis les essences dans le présent. Une humanité vraiment incarnée ne se réduit donc pas à un Cela mais implique d’entrer en relation immédiate avec le Tu, c’est-à-dire une action mutuelle, l’accomplissement de la confrontation sur ce qui nous fait face (l’acte essentiel). Dans ce sens, l’amour – fait qui ‘se produit’ entre le Je et le Tu – est un acte essentiel, alors que les sentiments qui l’accompagnent demeurent des accessoires d’essence très diverse. A contrario, la haine n’en est pas un puisque l’on ne peut haïr un être dans son intégralité. Cependant, lorsque l’action est épuisée ou a été contaminée, immanquablement le Tu devient un Cela, un objet parmi les objets (un Cela qui pourra ultérieurement redevenir à l’état de Tu).
« Au commencement est la relation » (p.18). « L’instinct de la relation est primaire » (p.24). Les phénomènes de relation élémentaires, auxquels le ‘primitif’ attribue un ‘pouvoir mystique’, une force mystérieuse d’où émane toute action essentielle (ex. : le chant du Chamane qui rend fort à la chasse), émeuvent son corps et laissent en lui l’image ‘objective’ d’une émotion. Puis, la mémoire classe les faits de relation en groupes et en genres. Ensuite, le Je se dégage avec une force élémentaire de la décomposition des expériences primitives, autrement dit du mot-principe Je-Tu. Finalement, le mot-principe Je-Cela est rendu possible une fois cette connaissance acquise. Ainsi, l’acte conscient du Je se produit : Il est la première forme de l’expérience égocentrique et implique une séparation entre le sujet (Je) et l’objet (Cela). Alors que la réalité du mot-principe Je-Cela naît du fait de trancher sur son milieu, la réalité spirituelle du mot-principe Je-Tu naît d’une liaison naturelle et d’un désir de rétablir un lien cosmique entre l’être spirituel et le Tu véritable. Dans ce sens, la création se forme dans la rencontre avec un vis-à-vis vivant ; elle se lève à la rencontre de ceux qui savent la conquérir et la saisir dans un effort assidu.
« L’homme devient Je au contact du Tu » (p.25). La conscience du Je, dans la relation avec le Tu, est la possibilité de se reconnaitre. Après le Je-Tu, le Je-Cela peut se constituer. L’homme devient observateur au lieu de se confronter dans un échange vivant ; il éprouve (dans la présence, dans la relation Je-Tu), perçoit/interprète puis expérimente les choses comme des sommes de qualités issues du souvenir de sa relation ; il les ordonne, les coordonne et peut maintenant les utiliser avec cohérence (il en dispose dans une chaîne spatiale, temporelle et causale), réalisant, au regard de l’ordre du monde, sa personne et son histoire. Si l’homme rencontre l’Être qui l’entoure sous la forme de son partenaire, chaque chose est perçue dans son essence, chacune de ces choses est pour lui le symbole de l’ordre du monde et le lie au monde. Dans ce monde de la relation, confus, inquiétant et incohérent, « Tu lui dis Tu et tu te donnes à lui ; il te dit Tu et se donne à toi » (p.28). De part cet échange mutuel, le monde enseigne à l’homme à rencontrer autrui et à en supporter la rencontre. Ainsi, les moments où se réalise le Tu, bien qu’ils ébranlent la sécurité du Je, s’avèrent indispensables ; en d’autres termes, « l’homme ne peut vivre sans le Cela mais qui vit seulement avec le Cela n’est pas l’homme » (p.29).

Résumé du chapitre 2 : « Le monde de l’homme »
L’être dans le monde de l’homme (Je-Tu) diffère de celui de l’objet matériel (Je-Cela).
La capacité d’expérience et d’utilisation (du monde du Cela) se développe chez l’homme le plus souvent aux dépens de l’aptitude à la relation. Néanmoins, ce n’est qu’en vertu de cette dernière que l’homme peut vivre dans l’esprit – l’esprit étant, dans la relation du Je au Tu, la réponse de l’homme à son Tu. Aussi, fatalement, la réponse enchaîne le Tu au monde du Cela, elle fixe le Tu à un rôle d’objet (une connaissance conceptuelle) et le métamorphose à l’infini. Dès lors, l’expérimentation et l’utilisation du Cela sert à s’orienter dans le monde.
La vie publique vraie et la vie personnelle vraie sont deux formes de relations ; elles ne sont pas respectivement produites par les institutions et les sentiments. Toutefois, pour qu’elles naissent et durent, il faut des sentiments et des institutions. Les sentiments sont le domaine du Je, le contenu changeant, les émotions et jouissances du « dedans ». Les institutions sont le domaine du Cela, la forme constante, le « dehors » où se déroule le cours des affaires. Un troisième facteur permet la création de la vie humaine, c’est le Tu central conçu dans la présence.


L’évolution des sociétés modernes du travail et de la propriété semble avoir effacé presque toute trace de vie dans le face-à-face, de la relation vivante et pleine de sens ; autrement dit, il semble que la vie collective de l’homme moderne plonge nécessairement dans le monde du Cela. L’économie, l’utilisation, la domination, la maîtrise, la raison, la rationalité, la causalité en sont des maîtres mots. Néanmoins, seule la présence de l’esprit est décisive ; seule elle peut infuser la signification et la joie, le respect et le dévouement ; seule l’essence de l’esprit – la faculté de dire Tu – peut transformer le monde du Cela. En effet, l’homme peut toujours (décider de) s’évader, d’entrer et d’être dans le monde de la relation, là où le Je et le Tu s’affrontent librement dans une mutualité d’action. Dès lors qu’il connaît la présence du Tu, l’homme est apte à prendre une décision et dispose d’un pourvoir de revirement, pour changer de mouvement ou changer de but. Ce revirement ne peut être entravé que si l’homme croit en la fatalité, que s’il ignore la présence, que s’il est assujettit au monde du Cela. Ainsi, la garantie de la liberté de l’Être se situe dans la relation et seul l’homme qui réalise sa liberté – oubliant toute causalité dans sa prise de décision, cessant de croire à la servitude et dont la volonté est exempte d’arbitraire – rencontre la destinée. Il croit en la destinée et va vers elle de tout son être.

Le Je n’est ni purement une personne ni purement un être séparé. Une personne qui est dans la relation participe à une réalité sans pouvoir se l’approprier ; elle participe à un Être qui n’est pas uniquement en elle ni uniquement hors d’elle. Toutefois, l’homme qui se détache de l’événement de la relation et a conscience de ce détachement ne perd pas sa réalité ; sa participation demeure vivante car il a à la fois conscience de sa liaison et de son détachement (dynamique de la subjectivité). L’être séparé, quant à lui, ne participe à aucune réalité ; il se détache par rapport à ce qui n’est pas lui – autrement dit du Cela extérieur – et tâche de se l’approprier, de le posséder, par l’expérience et l’utilisation. Dans ce sens, l’homme est d’autant plus une personne que le Je du mot principe Je-Tu est plus fort dans la dualité humaine de son moi. Par ailleurs, au delà de la personne, de l’être séparé, de l’homme libre, de l’homme arbitraire, on relève deux autres figures de l’homme. Le premier, l’homme démoniaque, étranger à toute présence, expérimentant et utilisant le monde qui l’entoure (un monde du Cela), est celui qui prononce le Je de l’acte accompli. Le second, l’homme qui néglige la relation, qui oublie de faire agir et de réaliser son Tu inné au contact du Tu qu’il rencontre, qui vit en tête avec lui-même, est celui qui demeure en contradiction interne. Enfin, parfois, l’homme frissonne dans l’étrangeté entre son Je et le monde ; saisi d’angoisse et en proie au désarroi, il lui vient l’idée qu’il y aurait un moyen pour y remédier ; il recherche une réconciliation, un apaisement.

Résumé du chapitre 3 : « Le Toi éternel »
La relation avec les idées (les essences spirituelles) est muette mais suscite une voix. Ici apparaît l’idée du Toi éternel : Dieu ; ce Tu de l’esprit, invoqué par l’homme (piété, prière, sacrifice), qui par essence ne peut devenir un Cela. En lui se croisent, à lui aboutissent les relations des hommes entre eux.
L’homme, parvenu à renoncer à ce faux instinct qui le pousse à fuir le monde de la relation (incertain, inconsistant, éphémère, confus, dangereux) et à se réfugier dans l’avoir des choses, parvenu à la parfaite acceptation de la présence, parvenu à voir en face de lui un Tu unique et exclusif au travers duquel existe le monde entier (tout devient inclus dans ce seul Tu), parvenu à son intégralité agissante, … cet homme est directement et de tout son être en relation avec son Tu. Ces dispositions réunies, il est prêt pour la rencontre suprême avec le Toi éternel. Cette aspiration s’exprime simplement dans le souhait d’être sur le bon chemin, sur le chemin de sa propre vie, d’une vie sanctifiée dans le monde.
Toute théorie de l’absorption repose sur l’illusion de l’esprit humain qui, replié sur lui-même, s’imagine agir à l’intérieur de l’homme ; alors qu’il agit entre l’homme et ce qui n’est pas l’homme. Un état d’absorption (un état de l’être dépouillé de toute dépendance à l’égard de l’ego, de toute dualité, un état où Dieu vient s’intégrer à l’être affranchi, un état de l’être englouti en son Soi), parce qu’il est étranger à la réalité vécue, supprime la relation et mène à l’ « anéantissement ». A l’inverse, le Je unifié – l’homme entier, indiminué, dont toutes les forces sont concentrées en un foyer, dont l’âme est unifiée intérieurement – est prêt, le temps d’un instant décisif, pour la rencontre suprême avec le Tu éternel. Face aux doctrines de l’absorption, Bouddha enseigne une voie à suivre. Selon lui, l’unification de l’âme est un but intermédiaire qui sert le but de l’ « abolition de la douleur ». Pour y parvenir, il nous tient à l’écart du « fourré des opinions », nous détourne de « l’illusion trompeuse des formes » et nous invite à prendre intimement conscience des phénomènes internes de notre corps. Ainsi, d’une part, celui qui se contente de « vivre intérieurement » l’attitude de son âme est étranger au monde. D’autre part, celui qui croit au monde et se risque dans le monde ne sera pas privé de Dieu ; en d’autres termes, s’il va véritablement à la rencontre du monde, s’il sort de Soi, s’il transforme en vie l’attitude de son âme envers le monde, alors il va à la rencontre de Dieu.
Le monde du Tu rayonne, le temps d’un instant, d’un bref regard, le temps d’une relation éphémère et fragile ; puis ce Tu ne tarde pas à s’évanouir, à s’éteindre, se transformant fatalement en un Cela.
La relation véritable dans le monde est exclusive, elle repose sur l’individualisation, elle est tour à tour actuelle et latente (la latence n’étant, dans la relation pure, qu’une pause où l’actualité reprend haleine).
Dans tout ce qui nous devient présent, dans chaque relation, qu’elle soit construite dans la vie avec la nature, la vie avec les hommes ou la vie avec les essences spirituelles, nous nous adressons au Tu éternel. La rencontre parfaite, quant à elle, se construit dans la Vie Réelle. De plus, la relation avec l’être humain est le véritable symbole de la relation avec Dieu, dans laquelle l’invocation véritable reçoit la réponse véritable ; l’homme lié aux êtres est le seul qui soit prêt à la rencontre avec Dieu. Aussi, l’homme qui idolâtre les biens finis – qui est toujours orienté vers l’expérience et l’utilisation d’un Cela, d’un objet de jouissance, qui est toujours avide de possession – n’a d’autre chemin pour aller à Dieu que le revirement, autrement dit de cerner de la relativité des objets et de vivre la révélation de l’état vrai de liaison. Celui qui, dans la plénitude de la présence, dans l’unique réalité, adresse le Tu à l’essence de tous les êtres, a le pouvoir d’assumer avec amour la responsabilité universelle et indiscernable des choses et d’agir de la bonne manière.
Le phénomène de la révélation : Au sortir de l’acte essentiel de la relation pure, l’homme a dans son Être un plus, un accroissement, un quelque chose qu’il ne possédait pas auparavant. Ce qui lui a été donné, ce qu’il a reçu, est une présence, une force, un pouvoir. La plénitude de la vraie mutualité apporte à la vie de l’homme un sens – à la fois révélé et caché – et ce sens ne demande qu’à être effectué et confirmé. Ce qui se révèle – ici et maintenant – c’est l’Être ; l’Être est là, rien de plus. Cette révélation, qui est vocation et mission, saisit l’homme en son élémentaire intégralité, dans toute sa façon d’être et s’amalgame à lui.
Le Tu éternel ne peut par essence devenir un Cela. Pourtant, l’homme aspire à posséder Dieu, il a soif de continuité, dans le temps et l’espace. La foi et le culte complètent les actes de relation et peu à peu remplacent la relation. Une stabilité s’établit dans un Cela auquel on croit et une dévotion réglée prend place.
Toutefois, la relation pure ne peut parvenir à la stabilité que si elle s’incarne dans la matière entière de la vie ; elle peut seulement se confirmer à l’épreuve.

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Réflexion : Comment éprouver l’altérité du Tu et tirer des enseignements du voyage-rencontre ?
« Quel que soit le profit de connaissance ou d’efficacité que l’on puisse tirer de tel ou tel exercice, […] les réalités du monde du Cela […] ne nous font pas progresser d’un pas, elles ne nous font pas faire le pas décisif qui nous sortirait de ce monde du Cela » (p.59).
Quand un Cela devient Tu : Lorsqu’un Je est amené à entrer en relation (ne pouvant expérimenter un Tu, un Je – dans son intégralité agissante – entre en relation puis subit et éprouve la relation), lorsqu’un Je accepte la présence, lorsqu’il décide intentionnellement d’entrer et d’être en relation (avec la Nature, les hommes, les essences spirituelles), alors un Cela devient un Tu ; de la sorte une véritable rencontre est vécue. Dans la perspective d’un voyage, le voyageur peut vivre des expériences « en surface » (Je-Cela) – autrement dit observer et constater les apparences, expérimenter et utiliser le monde qui l’entoure – ou être davantage disposé à faire de vraies rencontres (Je-Tu). En d’autres termes, cette seconde possibilité relève de son aptitude à entrer en relation, de sa prise de décision d’entrer en relation (intention et volonté de faire des choix existentiels et de s’ouvrir à l’altérité), de sa prise de risque et de l’accomplissement du mot-principe Je-Tu, autrement dit de l’accomplissement de l’acte essentiel d’entrer et d’être en relation. La capacité, la volonté, le courage (de s’engager dans la relation), la force intérieure déployée, le dépassement de soi … sont autant de qualités qui m’apparaissent nécessaires à l’émergence et à l’accomplissement d’une vraie relation. Ces qualités réunies, une véritable rencontre avec le Tu est éprouvée intensément, pleinement, dans l’instant présent. De plus, à l’étude de la pensée de Martin Buber, une ouverture spirituelle m’apparait essentielle pour vivre les essences et éprouver avec intensité des émotions dans l’immédiateté du moment. De la sorte, des révélations et des transformations internes peuvent survenir chez le voyageur : des changements d’ordre morphogénétique ; des révélations – sur soi, entre soi et la nature, entre soi et les êtres humains, entre soi et les idées – ; des libérations ; des dépassements de soi jusqu’alors insoupçonnés ; des apprentissages existentialistes ; de nouvelles manières de penser et d’être dans le monde ; de nouveaux schémas d’interprétation, de compréhension, d’expression, d’orientation ; de nouvelles aspirations de vie ; un état d’esprit plus ouvert sur le monde ; un état de conscience plus humaniste. Aussi, la richesse, l’intensité, la diversité des relations éprouvées au contact de l’autre, favorisent ces apprentissages et les évolutions intrinsèques de l’être. Il convient, à mon sens, qu’un voyageur en quête (une vaste quête de connaissance, de sens, d’identité, spirituelle) explore l’altérité et s’aventure dans ses relations – non pas par utilité, non pas afin de combler un besoin ou d’assouvir une envie mais avec une volonté d’implication et d’accomplissement –, qu’il se « frotte » à autrui avec considération positive – non en tant que simple observateur mais en tant que participant. Postulant que le voyage peut être envisagé comme un moyen de satisfaire une vaste quête, il m’apparait que l’une des dispositions d’esprit ou attitudes à privilégier à tout moment présent est de ne pas expérimenter ni utiliser l’autre – dans la mesure où une utilisation de l’autre implique ni rencontres ni relations véritables mais plutôt une expérience de surface, une expérience des apparences. Cette quête ne doit pas guider les rencontres – elles ne pourraient être vécues spontanément, intensément et pleinement – mais elle doit être rejointe dès lors que le Tu de la relation éprouvée devient un Cela. En d’autres termes, on doit, dans l’instant présent, se détacher de sa quête première pour ensuite s’en rapprocher avec une plus grande matière. Il s’agit donc de voir dans le voyage un mode d’apprentissage qui s’offre au voyageur et non un simple moyen profitable dans un seul but prédéterminé, celui de satisfaire une quête qui serait omniprésente dans l’esprit du voyageur. Par ailleurs, je me hasarde à exprimer un point de vue plus personnel à ce sujet. Le voyage ne doit pas non plus être vu comme un processus marqué d’étapes distinctes et successives que l’on parvient à franchir grâce à l’utilisation rationnelle de techniques. À ces techniques, j’oppose des attitudes qui relèvent de l’intentionnalité de la conscience. J’en appelle à des attitudes pleinement intégrées dans l’être, éprouvées et formées dans l’effort de la rencontre, dans l’implication relationnelle du Je avec le Tu. Je privilégie une éthique, des lignes de conduite pleinement assumées, un état d’esprit non pas égocentrique (non pas une vision du monde et un rapport au monde qui se fondent radicalement et exclusivement dans le Je-Cela) mais qui implique résolument une acceptation des diversités (humaines, culturelles, sociales, de la nature, etc.), une ouverture à l’altérité (la nature, les hommes, les idées), une vie dans la relation, une vie dans la présence du Tu.

Réflexion : Comment – dans un monde moderne, complexe et instable – peut-on parvenir à vivre des relations vraies et créatrices ? Comment faire de notre vis-à-vis un Tu véritable ?
Il me semble qu’en ce monde rien n’est indéfiniment figé (à mon sens, l’individu qui croit l’inverse de ce propos confond le monde qui l’entoure – tel qu’il le perçoit – avec un monde pleinement et seulement peuplé d’objets matériels, autrement dit il tend à réduire le monde qui l’entoure au monde du Cela, cohérent dans l’espace et le temps), que tout dans la réalité vécue (l’ordre établi, les structures, le monde des hommes, celui de la nature, celui des idées, …) est contingent, instable, improbable, incertain, complexe, changeant. Il apparaît que des situations de vie peuvent être perçues comme étranges, mystérieuses, incohérentes, irrationnelles, risquées, apeurantes, …, qu’elles peuvent – parce qu’elles sont perçues comme tel – susciter l’appréhension du devenir (d’un devenir inconnu), la stagnation, l’inaction, la latence, la passivité, le désengagement, mener à une volonté de maintenir obstinément un équilibre, de peur de perdre un certain confort. Il apparaît que les antinomies existent et que nous devons les accepter et les vivre simultanément pour parvenir à les réconcilier. Il apparaît que seules notre manière de regarder le monde (un regard intense, concentré, vif dans l’instant, captivé et curieux, etc.), nos dispositions d’esprit (la force et le courage, la confiance – versus le risque –, la volonté d’un devenir, l’ouverture à altérité, etc.) et les attitudes – ou lignes de conduite – que nous adoptons (en particulier celles valorisées par Carl Rogers : la congruence, l’acceptation positive inconditionnelles et la compréhension empathique), peuvent nous permettre de vivre de vraies relations – aussi éphémères soient elles – que se soit avec la nature, les hommes ou les idées.

EB. 2008-07-11.