GENERALITES

– – – – – – – – – – – – Présentation et résumé

– – – – – – – – – – – – Pertinence de la recherche

– – – – – – – – – – – – Témoignages académiques

– – – – – – – – – – – – Table des matières détaillée

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RECHERCHE

– – – – – – – – – – – – Introduction et interrogations

– – – – – – – – – – – – Cadre théorico-méthodologique

– – – – – – – – – – – – Terrain : les récits de voyageurs

– – – – – – – – – – – – Interprétation et analyse des récits

– – – – – – – – – – – – Conclusion / Appendices / Biblio.


DIVERS

– – – – – – – – – – – – Travaux de recherche 2008-2009

– – – – – – – – – – – – Bricolage de pensées 2008-2010

– – – – – – – – – – – – Citations : sources d’inspiration

– – – – – – – – – – – – Quelques photos de voyageurs



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L'Approche Centrée sur la Personne (C. Rogers)



ESSAI :
Étude et réflexion critique sur la
perspective théorique de Carl Rogers

(la psychologie humaniste, 3ème force)

dans le courant de pensée de
l’interactionnisme symbolique.



SOMMAIRE

INTRODUCTION



1. L’APPROCHE PSYCHOSOCIOLOGIQUE DE CARL R. ROGERS
... 1.1 Ancrage épistémologique et perspective théorique
... 1.2 Approche Centrée sur la Personne (ACP) et concepts de base
... 1.3 Applications possibles - actuelles et en devenir - de l’ACP



2. APPRENTISSAGE DE L’ACP ET RÉFLEXION CRITIQUE
... 2.1 Contexte général et champ détude
          [L’Autre: élément constitutif du concept de Soi]
... 2.2 Présentation de la problématique de recherche
          [Lexpérience du voyageur philosophe, à la rencontre de l’altérité]
... 2.3 Application de l’ACP à la thématique de recherche



CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

« Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c'est-à-dire moral) que dans l'individu et par l'individu lui-même. » (Baudelaire. 1887)


INTRODUCTION

Dans la plupart des pays européens et d’Amérique du nord (si nous ne considérons que ceux-ci), la culture matérialiste des lois du marché règne en maître absolu ; autrement dit, à l’heure actuelle, ce sont les pouvoirs économiques et financiers qui gouvernent ces sociétés. Les mots d’ordre de cette culture - la compétitivité, le rapport qualité-prix, l’efficacité, la responsabilité financière, la rentabilité, etc. - ont installé une ambiance de suspicion et de mépris dans laquelle personne ne se sent digne de confiance ou capable de faire confiance. Ce climat apparaît exactement à l’opposé de celui que Carl Ransom Rogers a découvert comme étant nécessaire et suffisant au mouvement thérapeutique. Dans ce sens, au lieu d’une considération positive inconditionnelle, nous essuyons critiques et jugements ; au lieu d’une compréhension empathique, nous faisons preuve d’une froide indifférence ; au lieu d’une congruence, nous constatons l’impénétrabilité de dirigeants joueurs-de-rôle et l’inauthenticité de vendeurs qui peuvent promouvoir et offrir tous types de produits (biens de consommation, services, conseils, … ou même une « marque » particulière de psychothérapie).
Déjà à ce stade, je me suis permis d’évoquer trois attitudes (la considération positive inconditionnelle, la compréhension empathique et la congruence) que prône Carl R. Rogers et qui s’inscrivent dans son Approche Centrée sur la Personne ; et cela afin de tenter de mettre en relief l’originalité et la créativité de cette approche psychothérapeutique et non moins profondément humaniste. L’hypothèse centrale de cette dernière peut se résumer ainsi : L’individu possède en lui-même des ressources considérables et nécessaires à son développement personnel, autrement dit pour se comprendre, se percevoir différemment, changer ses attitudes fondamentales et son comportement. Ainsi, il existe dans chaque individu, un mouvement en profondeur qui le pousse vers un accomplissement et le développement de ses potentialités. Ce mouvement, que Carl R. Rogers nomme la tendance actualisante, est le fondement même de son approche. De la sorte, dans une démarche thérapeutique, le rôle du thérapeute est, de part son attitude, de faciliter cette tendance à l’actualisation chez le client.
Dès lors, nous pourrions nous interroger sur l’efficacité thérapeutique de l’Approche Centrée sur la Personne et sur son impact sociétaire. Des critiques laissent à penser que la pensée humaniste de Carl R. Rogers ne peut s’appliquer aux problèmes actuels, qu’elle est idéaliste, utopiste et naïve, qu’elle n’a pas sa place dans nos sociétés modernes. Néanmoins, dans une perspective thérapeutique, il semblerait que la motivation du « client » et la qualité de la relation entre le client et le thérapeute s’avèrent comme étant les deux seuls facteurs conséquents qui soient importants, telles sont les conclusions auxquelles est parvenu l’éminent behavioriste Neil Jacobson (Jacobson, 1995).
C’est autour de la perspective centrale de l’Approche Centrée sur la Personne que j’organiserai ma pensée. Cet essai se décompose en deux parties structurées :
Dans un premier temps, je m’efforcerai de présenter dans quelle mesure les théories du psychothérapeute humaniste Carl R. Rogers s’inscrivent dans le courant de l’interactionnisme symbolique, puis j’exposerai les grandes lignes de son Approche Centrée sur la Personne (ACP) et les possibles applications de celle-ci.
Dans un second temps, je tenterai une réflexion critique, autrement dit d’exprimer l’apprentissage réalisé au travers des écrits de Carl R. Rogers. Dans cette perspective, je m’appuierai sur l’évolution de la pensée de cet auteur et notamment sur son dernier ouvrage intitulé « Un manifeste personnaliste : Fondements d’une politique de la personne ». Plus précisément, j’appliquerai, de manière expérimentale, l’Approche Centrée sur la Personne à une problématique particulière. En d’autres mots, je tenterai de mettre en relief les liens de cohérence et de pertinence entre cette approche et mes intérêts de recherche. Dans cette seconde étape, j’axerai ma réflexion sur la thématique de mon projet de mémoire qui à date s’intitule : « Le voyage philosophique : Une perception et une connaissance éprouvées sous le signe de la rencontre ». Je précise dès à présent que l’objectif de cette recherche, qui implique une approche interculturelle et donc une approche interactionniste, est de révéler les apprentissages (existentiels ethumanistes) de l’expérience du voyage-rencontre.


1. L’APPROCHE PSYCHOSOCIOLOGIQUE DE CARL R. ROGERS

Carl R. Rogers (1902-1987), psychologue humaniste et psychothérapeute américain, a développé une théorie globale de la personnalité qui s’enracine dans une pratique et dans un désir d’aider soit l’étudiant, soit le client, soit la personne que la vie met sur son chemin. Soucieux d’efficacité et recherchant les résultats objectifs de sa pensée et de son action, sa théorie - dont l’Approche Centrée sur la Personne - se fonde sur une démarche expérimentale.
Une description concise de son parcours de vie sera présentée en annexe de cet essai.

1.1 Ancrage épistémologique et perspective théorique

Positionnement de l’approche de Carl Rogers dans le courant de l’interactionnisme symbolique : l’approche de Carl Rogers est une théorie microsociologique qui relève du courant de pensée de l’interactionnisme symbolique.
Selon George Herbert Mead, inspirateur et fondateur de ce dernier mouvement, les gens sont les producteurs de leurs propres actions et significations (Mead, 1963). Quant à Herbert Blumer, son successeur, il définit l’interactionnisme symbolique comme un processus d’interaction entre les individus dans la formation des significations. La théorie est ainsi construite autour de trois principes : La signification, qui traduit le fait que les individus agissent en fonction du sens qu’ils donnent aux autres individus et aux objets ; le langage, qui donne aux individus les moyens de symboliser la signification qu’ils donnent aux autres personnes et aux objets ; et la pensée, qui donne la possibilité aux individus de modifier le sens des symboles.
Toute orientation microsociologique interactionniste, dont celle de Carl Rogers, implique quelques principes de base (Blackledge et Hunt. 1985) : 1) La prise en compte des activités quotidiennes ; 2) La liberté et l’autonomie d’action des individus : la vie quotidienne n’est pas (totalement) soumise à des déterminismes (contraintes, contextes, …) ; 3) La signification : le sens est construit par les acteurs et non imposé par la culture ; 4) Les interactions : l’activité quotidienne - rarement solitaire - est faite avant tout d’interactions de chacun avec les autres ; 5) La négociation : dans la mesure où les significations varient sans cesse et sont constamment remaniées, alors les interactions, qui sont fondées sur ces interprétations, varient elles aussi et doivent par conséquent être renégociées.
L’approche microsociologie se distingue donc de l’approche macrosociologie (Hammersley et Woods. 1984). La première prend en compte la liberté humaine, vise à rendre compte de la vie sociale dans sa complexité et dans tous ses détails, admet que des interprétations valables peuvent être élaborées à partir d’observations concernant des groupes et des organisations sociales de petites dimensions (ou même de traits concernant une seule personne), etc. La seconde relève du déterminisme social, se donne pour objectif de produire des explications par généralisation à partir des phénomènes sociaux particuliers, interprète les événements comme le produit d'une société, etc.
Dès lors, dans quelle mesure pouvons-nous espérer faire changer les systèmes sociaux en ne portant sur eux qu’un regard macro-social alors que ceux-ci sont précisément constitués par des individus ? Il apparaît que l’étude micro-sociale et qu’une approche humaniste spécifiquement centrée sur la personne peut générer et engendrer une révolution tranquille impliquant la résolution de tentions interpersonnelles et interculturelles.
Le psychologue américain Carl Rogers, fondateur de l’Approche Centrée sur la Personne, est l’un des représentants de la psychologie humaniste qui s’est développée dans les années cinquante, comme « troisième force » de la psychothérapie, en réaction et en opposition au scientisme de la psychologie scientifique dominante, soit en marge de la psychanalyse et du comportementalisme (ou psychologie du comportement). En effet, la psychologie humaniste est une théorie psychologique centrée sur l’importance des forces internes subjectives et qui propose une vision optimiste de la nature humaine. Elle se distingue en deux points. D’une part, les psychologues humanistes soutiennent que la nature humaine est fondamentalement positive, créative et qu’elle tend naturellement à se réaliser pleinement si elle n’est pas entravée ; d’où une vision de la psychologie humaniste qui se différencie du pessimisme de certains psychanalystes tel que Sigmund Freud. D’autre part, elle se distingue du caractère mécanique prôné par les psychologues du comportement (tel que Ivan Pavlov). Dans ce sens, Carl Rogers reproche à ces derniers d’ignorer l’importance d’éléments tels que les buts, les aspirations, les joies et les valeurs des individus. Les humanistes proclament que chaque être humain, considéré comme une personne unique, est capable d’exercer son libre arbitre dans ses choix et dans son comportement.

L’approche de Rogers se fonde sur une démarche phénoménologique.
La théorie humaniste et personnaliste de Carl Rogers est décrite comme une conception phénoménologique de l’expérience humaine. Selon la tradition phénoménologique, le comportement d’une personne se trouve dicté par la conscience subjective qu’elle a d’elle-même et du monde qu’elle habite (Thorne, 1994). De la sorte, pour comprendre une autre personne, il convient d’abord de savoir ce que cette personne perçoit du monde.
Ainsi, la démarche phénoménologique consiste à observer le plus directement possible les phénomènes relatifs à l’expérience, tels qu’ils apparaissent, sans interprétation, explication ou jugement liés à des systèmes de croyances et de représentations.
- Dans un premier temps, elle consiste à observer sans idée préconçue le phénomène tel qu’il apparaît subjectivement et l’expérience vécue telle qu’elle se présente ; dans ce sens, le phénoménologue Edmund Husserl parlera de « réduction phénoménologique ».
- Dans un second temps, il s’agit d’écouter ce que le phénomène pourrait vouloir nous signifier en accompagnant le processus d’explicitation, en laissant venir les idées et les mots qui émergent à partir du phénomène expérientiel ; telle est pour Husserl la « phase de constitution ».
Cette trajectoire phénoménologique de la psychologie humaniste distancie l’Approche Centrée sur la Personne de Carl Rogers de tout modèle médical objectiviste et positiviste, de toute préconception diagnostique et métapsychologique, et l’inscrit dans un paradigme philosophique (Rogers, 1951). La nature phénoménologique de cette théorie met en lumière le fait que le point final du développement de la personnalité est une congruence fondamentale entre le champ de développement de l’expérience et la structure conceptuelle du soi.

1.2 Approche Centrée sur la Personne (ACP) et concepts de base

Carl Rogers, psychologue américain a créé une approche psychothérapeutique qu’il appelle « Approche Centrée sur la Personne » (ou ACP). Sa pensée est profondément ouverte et non dogmatique, originale et créatrice. Un des postulats de sa pensée est de considérer que chaque être humain a les ressources intérieures nécessaires à son développement personnel, soit une positivité du développement humain.

De la non-directivité à l’Approche Centrée sur la Personne

Véritable pionnier, Carl Rogers met donc au point en 1951 une méthode thérapeutique fondée sur le non-directivisme et qui vise à mette en évidence les sentiments confus du patient et à les clarifier. D’abord appelé « approche non-directive », puis « centrée sur le client », elle porte aujourd’hui le nom d’ « Approche Centrée sur la Personne ».
La non-directivité désigne le fait de s’abstenir de toute pression sur le sujet pour lui conseiller ou lui suggérer une direction, pour se substituer à lui dans ses perceptions, ses évaluations ou ses choix. Elle implique la confiance dans les capacités d’auto-développement et d’auto-direction du sujet, dans ses capacités d’autonomie et de responsabilité. On la retrouve aussi bien dans le domaine de la relation d’aide que dans celui de l’animation des groupes ou encore dans celui de la relation pédagogique. Lors de l’entretien non directif, le thérapeute ne cherche pas à diriger le processus car comme l’affirme Rogers dans La relation d’aide et la psychothérapie, « le client a le droit de choisir ses propres buts vitaux » (Rogers, 2005).
Puis, à la notion de non-directivité s’ajoute celle de centration sur la personne. Dans ce sens, le thérapeute ne traite pas un problème, un symptôme, un cas, une névrose, mais il entre dans une relation empathique et profonde avec une personne. Cela signifie que le thérapeute perçoit chaque personne avec qui il travaille, comme une personne inconditionnellement digne d’estime, quels que soient son état, son comportement ou ses sentiments. Il essaie de nouer une relation vivante, authentique et chaleureuse avec le client, d’une manière qui s’écarte de la « neutralité » du psychanalyste. Il s’efforce de créer un climat sécurisant, il veille à instaurer une relation de confiance, et cela afin de faciliter l’expression de la personne aidée. Cette écoute et cette considération conduisent la personne à s’écouter à son tour et à parvenir ainsi à une acceptation d’elle-même.
Ainsi, d’une appellation qui focalisait l’attention sur une technique (la non-directivité), nous sommes passé à une attitude propre à la relation d’aide ou de conseil : la centration sur le client / la personne.

Les conditions de l’apprentissage en psychothérapie

Carl Rogers a fondé la théorie centrée sur le client sur l’hypothèse que tous les organismes vivants sont mus par la nécessité inhérente et incessante de se maintenir en vie et de s’accomplir du mieux qu’ils le peuvent. Cette force de vie constructrice est appelée la tendance actualisante. L’actualisation de soi est considérée comme la motivation première, comme un besoin de se maintenir en vie, de s’épanouir, de se mettre en valeur et de se protéger (Bozarth, 1998).
Carl Rogers a énoncé cinq conditions nécessaires et suffisantes pour qu’une thérapie soit efficace (Rogers, 1968, p. 202-205) ; trois d’entre elles confèrent au thérapeute une manière « d’être » avec ses clients qui est facilitatrice. Ces trois conditions ou conditions essentielles ont pour nom : congruence, considération positive inconditionnelle et compréhension « empathique ». En termes simples, la thérapie centrée sur le client offre au thérapeute une manière d’être avec le client qui est thérapeutique parce qu’elle libère un espace fertile dans lequel le client est assuré de se développer selon sa nature, ses valeurs et ses choix.
1) La première personne que nous appellerons « client » se sent placé dans une situation qu’il perçoit comme un problème sérieux et lourd de sens dont a essayé de venir à bout sans succès (exemples : états d’incongruence, de vulnérabilité, d’anxiété, de domination par des confusions ou conflits, etc.).
2) La deuxième personne que nous appellerons « thérapeute » est congruent dans la relation avec autrui, il est capable d’être la personne qu’il « est ».
3) Le thérapeute porte une attention chaleureuse vis-à-vis du client, il ressent une considération positive inconditionnelle à l’égard du client.
4) Le thérapeute éprouve une compréhension empathique et exacte du cadre de référence interne du client.
5) Le client éprouve et perçoit, à quelque degré que ce soit, la congruence, l’acceptation et la compréhension empathique du thérapeute. En d’autres mots, les conditions qui existent chez le thérapeute doivent avoir été communiquées avec succès au client.
Nous détaillerons ci-après les trois attitudes fondamentales qu’il convient que le thérapeute adopte afin de favoriser le développement de la personne, qu’il s’agisse d’une relation entre le thérapeute et son client, le parent et l’enfant, le leader et le groupe, le professeur et l’élève ou le directeur et son équipe.
(Rogers, 1968, p.203-205).

La congruence (ou l’authenticité).
« Le thérapeute doit bien vivre sa relation avec le client et y être parfaitement intégré » (Rogers, 1957). S’il est congruent, s’il exprime ses sentiments les plus profonds, alors son interlocuteur (le client) aura tendance à se sentir en confort et en sécurité, alors s’installera dans la relation un climat de confiance. La notion de « congruence » du thérapeute (ou authenticité), autrement dit le fait d’être véritablement lui-même, d’être en accord avec lui-même, renvoie à la conscience que celui-ci peut avoir de la façon dont il vit la relation avec le client et de son attitude à son égard. Autrement dit, la congruence découle de l’effort permanent que fait le thérapeute pour réduire le décalage qui pourrait exister entre l’image qu’il a de lui et celle qu’il affiche auprès d’autrui. Il doit donc rester persuadé que sa formation et son expérience ne peuvent être l’unique référence. Si, en revanche, le thérapeute éprouve des réticences à accepter la façon de voir et l’expérience de son interlocuteur, il développera des mécanismes de défense. Il creusera alors un fossé entre l’image généreuse, attentive, qu’il voudra donner de lui et la tendance qu’il aura à contester l’expérience de ce dernier. En d’autres mots, plus le thérapeute est lui-même dans la relation - n’affichant pas de façade défensive et ne s’abritant pas derrière un rôle d’expert - plus grande est la probabilité que le client accède à son potentiel et se développe d’une manière constructive. Dès lors, afin de créer un climat favorisant le changement chez le client, le thérapeute exprime ses ressentis - qu’ils soient positifs ou négatifs - dans l’ici et maintenant de la relation thérapeutique. De la sorte, la congruence du thérapeute conduit le client à rétablir sa propre congruence, en déjouant ses mécanismes de défense. (Rogers, 1968, p.15, 39, 238-244).

La considération (ou acceptation) positive inconditionnelle.
Parce qu’elle repose sur la conviction du caractère unique et irremplaçable de l’expérience d’autrui, alors aucun élément des choix qu’autrui a effectués ne peut être jugé négatif. Il faut que le client puisse percevoir que toutes les représentations de son monde intérieur sont pleinement accueillies et ne peuvent, en aucun cas, modifier l’attitude de considération positive du thérapeute à son égard (Rogers et Kinget, 1971, I, p.193-194). Cette considération positive inconditionnelle n’implique pas l’identification à l’autre, même si elle essaie d’embrasser son monde intérieur (de Peretti, 1999, p.165, 325). Lorsque le thérapeute fait l’expérience d’une attitude positive, exempte de jugement, acceptante envers ce que le client est sur le moment, alors un changement est plus probable. Cela demande la volonté du thérapeute de laisser le client être le sentiment qu’il est en train de vivre, quel qu’il soit (positif ou négatif) : confusion, ressentiment, douleur, peur, colère, courage, amour, orgueil, etc. Cette attention non possessive implique que le thérapeute accepte le client dans sa totalité, autrement dit sans rejeter certains des sentiments de celui-ci. Dans les termes de Carl Rogers, « dans la mesure où le thérapeute accepte avec confiance et compréhension toutes les facettes de l’expérience de son client comme éléments intégrants de sa personnalité, il éprouvera à son égard un sentiment de respect inconditionnel » (Rogers, 1957).

La compréhension « empathique » du thérapeute à l’égard du système interne de référence de son client.
Tout en restant lui-même, le thérapeute tente de sentir ce que vit intérieurement le client - soit les sentiments et significations personnelles que le client est en train d’expérimenter - et s’efforce de communiquer cette compréhension acceptante au client - soit l’expression verbale des émotions ressenties par le client. En d'autres termes, l’empathie recouvre deux aspects, celui de décentration et celui d’implication. La décentration d’abord dans la mesure où elle est abandon des positions a priori et mise en veilleuse de son système de valeurs. L’implication ensuite au sens où elle est participation au ressenti de la personne face aux résultats d’un inventaire d’intérêts, « comme si » on était cette personne. Ainsi, selon Rogers, il convient de « ressentir l’univers particulier du client comme si c’était le sien propre, mais sans jamais oublier la restriction qu’implique le ‘comme si’. C’est cela l’empathie et elle semble indispensable à la thérapie » (Rogers, 1957). Cette empathie est donc essentiellement une écoute active, soutenue par une attention à ce que la personne éprouve (satisfaction, perplexité, doute, etc.), par un effort de compréhension de ce qu’elle ressent en excluant l’émotion propre à la sympathie et le jugement propre à l’inquisition. Cette empathie se concrétise chez le thérapeute par un intérêt assez grand pour ne pas faire obstacle au développement personnel du client ; laissant ce dernier libre de se développer à sa manière à lui. Quand cette attitude est pleinement incarnée par le thérapeute, celui-ci se trouve tellement immergé dans le monde intérieur de l’autre, qu’il peut aussi bien communiquer sa compréhension de ce qui est clairement connu par le client que proposer des significations de ce que celui-ci éprouve de façon à peine consciente. Ce faisant, il guide le client vers une meilleure compréhension de lui-même. (Rogers, 1968, p.42, 49, 68).

Dès lors, il est essentiel pour le client de se sentir respecté en tant que personne, en dehors de tout jugement ou évaluation du thérapeute. Ce dernier demeure aux côtés du client et l’accompagne ; néanmoins c’est le client qui définit son problème, comme la façon de le résoudre. Le thérapeute vérifie avec lui la compréhension qu’il a de ses difficultés, l’aide à identifier ses ressources et ses potentialités, et cela afin de répondre au mieux au problème rencontré.

1.3 Applications possibles - actuelles et en devenir - de l’ACP

Les champs d’application possibles de l’Approche Centrée sur la Personne : L’Approche Centrée sur la Personne (ACP) de Carl Rogers s’est d’abord développée dans le domaine de l’aide psychologique et de la psychothérapie - auprès de personnes individuelles ou de familles - où elle prenait l’appellation de « centrée sur le client ». Puis, par extension, l’ACP a été transposée dans le domaine des groupes de rencontre. Carl Rogers et ses collègues ont même travaillé avec des groupes composés d’une centaine de personnes provenant des quatre coins du globe. Le but de ces rencontres était de permettre aux participants de réaliser que la rencontre avec d’autres personnes rend possible à chacune d’entre elles de développer ses potentialités et ses richesses intérieures, sans avoir recours à un expert qui formulerait les buts à atteindre et montrerait le chemin pour y parvenir. L’application aux groupes de rencontre s’est largement étendue à tous les domaines du champ social, en particulier dans le monde éducatif. En effet, introduite dans le domaine pédagogique, l’ACP fut qualifiée d’enseignement « centré sur l’élève ou l’étudiant ». Elle a notamment été mise en pratique dans le cadre de programmes ou d’initiatives visant à renforcer la dimension humaine dans l’enseignement médical ou à modifier le système scolaire (en Californie notamment). Dans son livre intitulé « Liberté pour apprendre », Rogers décrit les effets et les conséquences d’un enseignement qui ne tient pas uniquement compte du plan d’étude, mais aussi de la personne de l’élève.
Sans pouvoir en dresser une liste exhaustive, voici quelques exemples de domaines d’application concernés par l’Approche Centrée sur la Personne : la psychothérapie, la relation d’aide, les relations interpersonnelles, les relations familiales, la pédagogie / l’enseignement, la formation des adultes, les techniques d’enquête, la consultation et l’intervention auprès de groupes intensifs et d’organisations, le commandement, la médiation, la résolution des conflits, l’action politique et sociale, les relations interculturelles, interraciales et même internationales.
Dans certains pays, l’ACP est plus largement répandue. Par exemple, en Suisse, l’approche centrée sur la personne a fait son entrée dans tous les domaines dans lesquels les relations interpersonnelles tiennent un rôle important : en psychothérapie et en psychologie, en médecine et en pédagogie, dans le travail social et l’animation de groupe, dans la gestion du personnel et, de manière générale, dans toutes les situations d’aide et de conseils.
Ainsi, le champ d’application de cette approche est vaste et paraît pouvoir s’étendre bien plus loin. Nous pourrions nous avancer à dire - avec une certaine dose d’audace voire d’ambition humaniste - que le champ d’application de l’ACP paraît s’étendre à l’infini. En effet, à la fin de sa vie, Carl Rogers s’est efforcé de mettre ses découvertes en termes de relations interpersonnelles aidantes au service du travail en faveur de la paix. Il a notamment animé des groupes « de travail » auxquels participaient des membres de groupes ethniques et religieux en situation de conflit, par exemple en Afrique du Sud et en Irlande du Nord. Dans ce sens, il a impulsé un mouvement qu’il dénomme « Révolution tranquille ». (Rogers, 1979).

Les implications politiques de l’Approche Centrée sur la Personne : Cette approche, au regard de l’impact global qu’elle a eu sur la société, s’inscrit dans une perspective politique, de pouvoir et de contrôle ; c’est-à-dire dans une politique des professions de l’aide et plus largement dans une politique des relations interpersonnelles. (Rogers, 1979, p.4-5). Cette dimension politique relève de l’hypothèse formulée par Carl Rogers et vérifiée en opposition aux techniques d’aide psychologique fort utilisées à l’époque (1940). Son hypothèse est la suivante : « l’individu a en lui-même de vastes ressources qui lui permettent de se comprendre soi-même, de changer la représentation qu’il a de lui-même, ses attitudes et le comportement qu’il se dicte à lui-même ; en outre ces ressources ne peuvent être mises en lumière que si l’on peut offrir un climat définissable d’attitudes psychologiques facilitatrices ». Cette hypothèse est venue s’opposer à deux hypothèses fondamentales, à savoir que « le conseiller est le meilleur juge » et qu’ « il connaît les techniques pour amener son client […] au but choisi par le conseiller (Rogers, 1979, p.6). La dimension politique de l’ACP se présente avec évidence dans la mesure où notre société et notre culture (éducation, industries, etc.) considèrent que la nature de l’homme est telle que l’on ne peut lui faire confiance, qu’il doit être guidé et contrôlé par un statut plus élevé ; d’où un irrespect à l’égard de la philosophie démocratique selon laquelle le peuple est investi de tout pouvoir. Dès lors, l’approche de Rogers et les principes qui y sont rattachés - dont les trois conditions fondamentales favorables au développement de la personne - lancent un défi politique et annoncent une révolution tranquille.
Toutefois, cette approche, qui selon Rogers peut s’appliquer à toutes les relations interpersonnelles, paraît trop révolutionnaire. Parce qu’elle vise à abandonner et à éviter l’exercice d’une quelconque autorité sur la personne, elle s’inscrit dans une perspective effrayante et dangereuse pour l’ordre établi. Elle représente notamment une menace qu’il convient de détruire pour nombre de psychiatres, psychologues et autres professionnels qui s’occupent de la santé mentale.
Pourtant, cette révolution tranquille (ou révolution personnaliste), qui abouti à des implications politiques pour l’ensemble de la société, n’a pas la volonté de détruire violemment et coûte que coûte l’ordre établi. Elle ne vise en définitive qu’à rendre à la civilisation moderne, dans l’engagement d’un combat éthique, son point de départ et ses valeurs humanistes. Ainsi, comme l’affirme Rogers dans son ouvrage « Un manifeste personnaliste », nous avons en nous un fondement humaniste pour résoudre des problèmes d'économie, d’idéologie, de justice civile et de violence révolutionnaire ; selon lui, il ne fait aucun doute que c’est bien la personne en croissance, en recherche, qui est politiquement la force puissante.


2. APPRENTISSAGE DE L’ACP ET RÉFLEXION CRITIQUE

L’exploration de la pensée humaniste de Carl Rogers permet de mieux comprendre les possibles applications de l’Approche Centrée sur la Personne (ACP) dans diverses sphères de notre société ; et cela, par extension du champ de l’intervention psychothérapeutique.
Dans cette partie, j’exprimerai mon apprentissage de la pensée de Carl Rogers au travers de l’application de l’ACP à ma thématique de recherche, qui à date s’intitule : « Le voyage philosophique : Une perception et une connaissance éprouvées sous le signe de la rencontre ».
Dans cette perspective, je tenterai de répondre à la question suivante : Dans quelle mesure l’ACP du psychothérapeute Carl Rogers peut-elle s’appliquer à la reconnaissance et à l’expérience de la diversité humaine telles qu’envisagées et vécues par le voyageur « philosophe » ?

2.1 Contexte général et champ détude [LAutre: élément constitutif du concept Soi]


La problématique de recherche s’inscrit dans le courant de pensée de l’interactionniste symbolique.
Le contexte large de la recherche est celui de la quête de Soi et de la connaissance de Soi à travers l’autrui ; le voyage pouvant être perçu comme un mode d’existence, pouvant contribuer à la satisfaction d’une quête : une quête de soi, de sens, de savoir, du bonheur, une quête identitaire, spirituelle, etc.
Le postulat fondamental de l’interactionnisme symbolique est que l’individu et la société sont des unités inséparables, interdépendantes, se construisant réciproquement. Le Soi et la société interagissent mutuellement, chacun n’étant pleinement compréhensible que dans le contexte de ses rapports avec l’autre. Les interactionnistes symboliques vont, dès lors, considérer le concept de Soi de l’individu comme étant déterminé par ses interactions symboliques avec autrui. Dans cette optique, une personne acquiert des caractéristiques au cours du processus d’interaction avec son environnement social et, adoptant le point de vue d’autrui, elle éprouve un sentiment de Soi ; d’où une conception de Soi comme structure cognitive qui naît de l’interaction avec les autres. Selon le théoricien du rôle George Herbert Mead, seul le lien social permet à l’individu de se voir avec les yeux des autres et donc d’extérioriser ses propres points de vue. Ainsi, les individus apprennent sur eux-mêmes à travers les autres, à la fois dans les comparaisons sociales et dans les interactions directes. (Mead, 1963).
Le regard porté sur cette thématique de recherche s’inscrit en opposition avec l’approche cognitive qui se focalise exclusivement sur la structure du Soi. Aussi, les approches interactionniste et interculturelle que j’adopte impliquent de reconnaître qu’autrui est l’un des aspects essentiels de la constitution du concept de Soi.

2.2 Problématique de recherche [Lexpérience du voyageur philosophe, à la rencontre de l’altérité]


L’annexe 2 présente une ébauche de ma problématique et mon scénario de recherche. Aussi, je m’efforcerai de formuler ci-après l’essentiel de ma démarche et des éléments qui se rattachent à ma thématique de recherche ; et cela dans la perspective d’y appliquer par la suite l’Approche Centré sur la Personne de Rogers.
Dans un contexte rapproché, celui du voyage, je m’intéresse aux émotions et aux chocs cognitifs éprouvés par le voyageur dans sa rencontre avec autrui, autrement dit dans son exploration de la diversité humaine. Je m’intéresse aux impacts de ces ressentis sur la connaissance de soi, à leurs influences sur les manières de vivre et de comprendre le monde. Mon regard se porte tout particulièrement sur un profil de voyageur, soit le voyageur « philosophe » tel qu’il est défini par Tzvetan Todorov dans « Nous et les autres » (1989) et dans l’annexe 2 de cet essai. Au regard des dix portraits de voyageurs dépeints par Todorov dans ce même ouvrage, le voyageur « philosophe » m’apparaît comme étant le plus humaniste puisqu’il envisage son voyage dans une perspective d’apprentissage et de partage. Toutefois, je maintiens mon ouverture aux expériences vécues par des voyageurs dont les attitudes et intentions ne sont pas a priori celles de ce dernier (le touriste, l’assimilé, l’exilé, l’exote, etc.), dans la mesure où j’estime que nous ne naissons pas philosophe - au sens défini par Todorov - mais que nous pouvons tendre à le devenir. Dans ce sens, une dimension philosophique du voyage peut émerger, sans pour autant que le voyageur ai eu le sentiment de l’incarner profondément. Par ailleurs, notre nature commune est notre humanité. Cependant, il s’avère que, notre société, gouvernée par l’économie et la finance, peut, sous certains aspects, être source de déshumanisation, de formalisation, d’universalisation, de mise en péril de la diversité humaine. Dès lors, ce postulat de base m’amène à formuler la finalité de ma recherche. Mon objectif est double. D’une part, il est de montrer que le voyage, la rencontre avec autrui et l’exploration de la diversité humaine - qui représentent de bons moyens d’éprouver de nouvelles sensations et émotions - s’inscrivent dans la perspective d’une connaissance de soi et dans un processus de construction identitaire. D’autre part, il est de révéler les inspirations et les apprentissages humanistes issus de l’expérience du voyage - que cette dernière soit pleinement vécue sous un angle philosophique ou qu’elle suppose le dévoilement ou l’émergence d’une dimension philosophique.

2.3 Application de l’ACP à la thématique de recherche


L’axe communicationnel de ma recherche relève de la communication interculturelle, c’est-à-dire de la rencontre de porteurs de cultures différentes et implique un processus d’interaction. Afin de mener à bien cette recherche, j’aborderai la rencontre entre le voyageur et autrui d’une part sous l’angle du processus de la connaissance, de la création de sens et de l’expérience de l’interculturalité, et d’autre part sous l’angle du processus d’interaction culturelle. Pour les besoins de cet essai, je porterai mon regard essentiellement sur les interactions culturelles entre le voyageur et autrui.
Telle que nous l’avons évoqué dans la partie précédente, au delà de la thérapie, l’Approche Centrée sur la Personne (ACP) de Carl Rogers s’étend à toutes les relations et s’applique à toutes les situations interpersonnelles et interculturelles (Carl R. Rogers, 1979, p.93-112). Dans ce sens, Rogers entrevoit, à travers l’ACP, un modèle susceptible d’aider des personnes hostiles à se rencontrer authentiquement et ensuite à tisser des relations de confiance.
Je tenterai d’appliquer l’ACP à ma thématique de recherche de deux manières. D’une part, je m’efforcerai de transposer les trois attitudes fondamentales incarnées par le thérapeute (congruence, acceptation inconditionnelle positive, compréhension empathique) au voyageur qui entre en interaction avec autrui. En d’autres termes, qu’en serait-il si le voyageur adoptait les attitudes prônées par Carl Rogers ? Comment éprouverait-il ses interactions avec autrui ? D’autre part, j’appliquerai ces mêmes attitudes à ma stratégie de recherche et plus précisément à ma méthode de collecte des données ; soit l’application de la démarche de la non-directivité aux entretiens avec les voyageurs.

L’attitude du voyageur :
Le voyageur entre en interaction avec les autres, il s’investit dans un rapport de contiguïté et de coexistence avec les autres. Dans ce sens, porteur de sa propre culture, il communique avec les autres, porteurs de cultures différentes. Il part à la découverte d’un pays étranger avec en tête des préjugés, des stéréotypes, des jugements de valeur a priori (positifs ou négatifs), autrement dit avec une certaine (pré)compréhension du monde qui porte l’empreinte de la culture de son groupe d’appartenance d’origine. Dès lors, des chocs émotionnels et cognitifs sont éprouvés au cours des interactions avec les autres, au cours de chaque situation communicationnelle inscrite dans un contexte social spécifique. Entrer en communication interculturelle implique donc une confrontation des schémas de perception et d’interprétation, ceux du voyageur vis-à-vis de ceux des individus du pays exploré. Ainsi, entre le voyageur et les autres, des barrages communicationnels se manifestent et de la sorte émergent des incompréhensions et des malentendus. De ce fait, il semble que l’utilisation de techniques interpersonnelles puisse aider à résoudre ces tensions interculturelles. Plus précisément, il semble que l’Approche Centrée sur la Personne de Carl Rogers puisse aider à la communication, qu’elle puisse faciliter les interactions et les apprentissages humanistes (voire universalistes) du voyageur, qu’elle puisse engendrer une plus grande ouverture d’esprit, une plus grande reconnaissance de la diversité humaine et une meilleure compréhension de l’altérité.
Portons à présent un regard plus ciblé sur le voyageur « philosophe ». L’intention et l’attitude de ce voyageur renvoie, à mon sens, à une expérience de vie qui est humainement la plus enrichissante (comparativement à d’autres postures de voyageurs, telles qu’exposées par Tzvetan Todorov dans « Nous et les autres », 1989) puisqu’elle est source d’apprentissages humanistes pour celui ou celle qui la vit, puisqu’elle s’inscrit dans une perspective de partage, de liberté de pensée et d’expression. Dans ce sens, le voyageur « philosophe », d’une part apprend des autres pour se comprendre lui-même et d’autre part porte des jugements sur les autres tout en leur laissant le soin d’agir. Ainsi, l’attitude de ce voyageur, telle que décrite par Todorov (annexe 2, point 2), se rapproche sous certains aspects (l’humilité, la reconnaissance de la diversité humaine, la partage, l’apprentissage) des attitudes humanistes que Carl Rogers préconise.
A mon sens, la philosophie de Carl Rogers – qui valorise la reconnaissance de la diversité humaine, l’ouverture au monde intérieur d’autrui, l’acceptation de l’expérience d’autrui – permet d’être ouvert et d’accéder plus aisément à tout milieu, à toute classe sociale, à toute culture.
Les trois attitudes de facilitation incarnées dans l’ACP (décrites dans le point 1.2 de cet essai) peuvent créer une atmosphère grâce à laquelle les relations interpersonnelles peuvent croître et s’améliorer. Il apparaît que, si ces trois attitudes étaient incarnées dans la personne du voyageur, une « communication réelle » et une « rencontre véritable » pourrait avoir lieu (Rogers, 1979, p.111-112). Il semble que l’ouverture à la découverte et au partage de sentiments profonds (qu’ils soient positifs ou négatifs, ils ont besoin d’être entendus, acceptés, compris avec empathie) mènerait à une meilleure communication et très possiblement à une meilleure compréhension d’autrui. De la sorte, l’appréciation des valeurs, des coutumes et des croyances propres aux autres, c’est-à-dire à ceux et celles rencontrées au cours du voyage, pourrait conduire à une prise de conscience de la beauté et de la richesse de la diversité culturelle.
Hypothétiquement, si le voyageur adoptait ces trois attitudes, alors il pourrait découvrir – au travers des émotions éprouvées lors de son expérience du voyage – quelques nouvelles facettes de lui-même, qu’il accepterait possiblement comme faisant partie de lui-même, de sa propre identité. En d’autres mots, l’expérience de ses sentiments intérieurs (qui va de pair avec l’ouverture aux expériences de la réalité extérieure – celles d’autrui), si elle est acceptée, conduit à l’acquisition d’une plus grande confiance en soi et d’une perception plus aiguë de soi-même ; elle conduit à mieux se connaître, à être soi-même et vise à créer une harmonie constructive (Rogers, 1968, p.131-133).
Finalement, il apparaît que tous les individus (qu’ils se définissent ou non comme des voyageurs « philosophes »), s’ils adoptaient les trois attitudes prônées par Carl Rogers (congruence, considération positive inconditionnelle, compréhension empathique), pourraient vivre un voyage « philosophique » dans le sens où celui-ci leur révèlerait potentiellement des apprentissages humanistes, autrement dit des manières d’être et de vivre plus humanistes.
Si, à maintes reprises, j’ai employé le conditionnel dans la tentative d’étendre l’ACP à ma problématique, c’est parce que chaque expérience de voyage conduit à des apprentissages spécifiques et que ceux-ci ne peuvent être préalablement anticipés ou prédits à l’avance. En effet, chaque voyageur parcourt son propre chemin, se hasarde dans de nouvelles interactions de manière singulière et éprouve des émotions uniques. Dès lors, je ne peux prétendre savoir de quelle manière ces voyages ont été vécus et éprouvés, ni généraliser à partir d’expériences individuelles. Adoptant une démarche phénoménologique, qui porte en son sein une attitude d’humilité, de relativité et de non-savoir envers autrui, je n’aurais tout au plus que la seule prétention d’extraire les traits communs de ces divers récits de voyage. Dans cette perspective, ce n’est qu’en me soumettant aux témoignages des voyageurs interviewés de manière non directive, autrement dit en appliquant la théorie de Carl Rogers aux expériences vécues, que je pourrais de manière inductive révéler les apprentissages de ces derniers et, en conformité avec la finalité de ma recherche, que je tenterai d’en révéler plus spécifiquement les apprentissages et attitudes humanistes qui peuvent en résulter.

L’entretien non directif selon Carl Rogers comme outil de recueil de données (Rogers et Kinget, 1971 ; Rogers, 2005) :
Les techniques de conduite de l’entretien non directif se réclament de l’Approche Centrée sur la Personne développée par Carl Rogers dans le cadre de la psychothérapie. L’entretien non-directif, ou plus justement appelé « entretien centré sur la personne » implique que l’interviewer ne cherche pas à diriger le processus.
L’entretien non directif et la non-directivité :
La non-directivité réside dans le fait de permettre à un individu la libre expression de sa communication dans l’entretien, sans l’influencer par des interrogations, sans privilégier soi-même un mode d’approche particulier et sans accentuer les contenus à l’aide de critères extérieurs. Dans l’entretien non directif, l’interviewer s’applique uniquement à écouter son interlocuteur le mieux possible, à le motiver pour qu’il s’exprime et il veille à accorder aux éléments du discours la même importance que le sujet lui-même leur accorde. Aussi, une attention particulière est portée aux perceptions et aux états affectifs de la personne interviewée.
La non-directivité s’applique à la présentation de chacun des sous-thèmes que le chercheur propose successivement au sujet et qui servent à expliciter le thème central. Dans ce cadre, il se laisse d’abord diriger par la spontanéité de son interlocuteur sur chaque sous-thème à la suite d’une question ouverte ; mais le chercheur sert de guide également pour s’assurer que toutes les composantes importantes du thème soient abordées durant l’entretien.
Dès lors, après avoir déterminé et explicité le thème (ou le problème) à explorer, les interventions de l’interviewer sont les manifestations de son désir d’écoute et de sa volonté de compréhension qui accompagnent le discours de l’interviewé. Le chercheur utilise notamment la reformulation et la clarification pour relancer la conversation, pour approfondir l’expression et encourager l’interviewé à développer sa pensée. Le but est toujours d’aider la personne, dans son travail d’auto-exploration et d’introspection, à exprimer toutes ses ressentis et émotions à propos de ce qui fait l’objet de l’entretien.
Dans cette perspective « non-directive », le chercheur adopte une attitude de compréhension (pas seulement rationnellement mais aussi affectivement ou émotionnellement), d’écoute attentive et d’empathie (on essaye de comprendre l’autre « comme si » on était à sa place ; sans oublier toutefois qu’on ne l’est jamais vraiment), de neutralité bienveillante et de non critique. Il fait preuve d’un profond respect par rapport à ce qu’exprime la personne, sans aucune manifestation de jugement, d’autorité, d’influence ou d’interprétation. Il s’abstient de toute pression sur son interlocuteur pour lui conseiller ou lui suggérer une direction, pour se substituer à lui dans ses perceptions, ses évaluations ou ses choix.
Ainsi, les attitudes préconisées par Carl Rogers pour la conduite de l’entretien non directif, parce qu’elles incitent la personne à raconter le vécu de ses expériences et à exprimer ses sentiments, s’adapte bien à l’objet de ma recherche. En d’autres termes, cette méthode, parce qu’elle en appelle à l’expérience affective et à l’inconscient cognitif de l’interviewé, se présente, à mon sens, comme étant la mieux appropriée pour étudier en profondeur les émotions (ressentis, sensations, sentiments) et les chocs cognitifs éprouvés par le voyageur lors de ses interactions avec autrui.


CONCLUSION

Dans le cadre de mon sujet de mémoire, ma pensée rejoint celle des humanistes - tel que Carl Rogers - qui portent une attention vigilante aux sentiments et aux émotions. Ces derniers et dernières affectent le processus de croissance et les comportements qui y sont associés. Dans cette optique, les humanistes croient qu’il ne peut y avoir de croissance ou de changement tant que la personne n’expérimente pas en profondeur ses sentiments. J’adhère profondément à cette vision et j’explore ma thématique de recherche dans ce sens.
Diverses critiques peuvent être portées à l’encontre de la pensée humaniste. Ces critiques proviennent notamment de psychanalystes qui privilégient l’étude de l’inconscient, ou de chercheurs et praticiens qui privilégient l’étude du passé, des causes et origines cachées. Dès lors, les humanistes les plus traditionnels ne privilégient pas l’histoire comme fondatrice de la personnalité, mais l’expérience de « l’ici et maintenant ». Les personnes ont en elles-mêmes, la capacité de ressentir et de comprendre ce qui est à la source de leurs troubles et de leurs souffrances. Ainsi, les humanistes ne voient pas la nécessité de sonder en profondeur l’inconscient de la personne, le concept de soi étant pour eux la pierre angulaire permettant à la personne d’évaluer, de juger et d’arbitrer sa destinée. Les thérapeutes humanistes se concentrent prioritairement sur le présent plutôt que sur le passé, sur la conscience des sentiments et des comportements tels qu’ils surviennent plutôt que sur leurs origines ou leurs déterminants cachés. Ainsi, les interventions s’orientent principalement vers le développement et l’accomplissement de la personne et non pas essentiellement sur le traitement d’une pathologie.
Limites de l’approche de Carl Rogers. La psychologie humaniste et son application en psychothérapie sont-elles encore bien vivantes et en croissance ou en voie de disparition ? L’attitude rogérienne - qui vise l’apprentissage authentique et l’émergence de changements libres et volontaires chez la personne - même si elle se défend d’être une « manipulation », peut être perçue comme telle par ses opposants. Néanmoins, cette critique peut être étendue à toutes les pratiques psychosociologiques qui se fondent sur la dynamique de groupe. Dans ce sens, seuls les praticiens de l’ACP peuvent se défendre de cette accusation, seuls eux peuvent revendiquer de ne pas être des manipulateurs. Au regard d’approches qui soulèvent des espérances sur la possibilité de faire changer à grande allure les systèmes sociaux, la prise en main par un individu de son propre destin paraît secondaire, voire simpliste ; autrement dit il semble superflu de se préoccuper d’une évolution de l’impact personnel des individus les uns sur les autres. Cependant, l’Approche Centrée sur la Personne a une réelle signification politique puisque selon Carl Rogers tous les secteurs de la vie humaine sont susceptibles d’une action à caractère politique qui se produit par la mise en œuvre du pouvoir pour chaque personne, par le développement des propres potentialités de chaque personne. Dans cette même perspective, partant du constat que l’ACP et ses hypothèses de base peuvent améliorer la communication et les rapports interpersonnels dans des petits groupes, Rogers tente de l’appliquer dans des cadres plus vastes, en d’autres mots de l’étendre à toutes les relations interpersonnelles et interculturelles. Dès lors, est-il utopique, irréaliste et naïf de penser que, grâce à une meilleure communication entre les personnes (et donc à une meilleure compréhension), les tensions entre groupes nationaux (par exemple, les classes sociales) et internationaux pourraient être diminuées ? Il n’en demeure pas moins que, pour Rogers, fort de son optimisme, la clé permettant de diminuer les tensions est dans l’individu lui-même.
Les perspectives d’avenir de l’ACP : Une « révolution tranquille » et l’émergence d’un nouveau paradigme. Finalement, cette approche, dans sa dimension politique, apparaît fort menaçante pour l’ordre établi. Toutefois, parce que l’ACP s’est révélé être pratique, constructive et efficace dans de nombreux domaines où elle a été appliquée et expérimentée, elle se présente à mon sens, comme étant une alternative viable aux manières actuelles de se saisir du pouvoir et d’en faire usage. Elle s’inscrit dans un contexte de révolution paradigmatique en psychothérapie et qui pourrait s’étendre à de plus larges sphères de la vie en société.


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EB. 2008-04-28.