GENERALITES

– – – – – – – – – – – – Présentation et résumé

– – – – – – – – – – – – Pertinence de la recherche

– – – – – – – – – – – – Témoignages académiques

– – – – – – – – – – – – Table des matières détaillée

– – – – – – – – – – – – Fichier PDF de la recherche


RECHERCHE

– – – – – – – – – – – – Introduction et interrogations

– – – – – – – – – – – – Cadre théorico-méthodologique

– – – – – – – – – – – – Terrain : les récits de voyageurs

– – – – – – – – – – – – Interprétation et analyse des récits

– – – – – – – – – – – – Conclusion / Appendices / Biblio.


DIVERS

– – – – – – – – – – – – Travaux de recherche 2008-2009

– – – – – – – – – – – – Bricolage de pensées 2008-2010

– – – – – – – – – – – – Citations : sources d’inspiration

– – – – – – – – – – – – Quelques photos de voyageurs



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Conclusion




 Accomplir sa Légende Personnelle est la seule et unique obligation des hommes. Tout n’est qu’une seule chose. Et quand tu veux quelque chose, tout l’Univers conspire à te permettre de réaliser ton désir (Coelho, 1994, p.47).


Nous venons de présenter à travers cette recherche, un mode d’existence dans le voyage, qui se veut à la fois esthétique et philosophique. Nous avons dévoilé dans quelle mesure cette expérience procurait au voyageur des apprentissages voire des révélations, des translations voire des transformations authentiques, c’est-à-dire dans quelle mesure elle était source d’évolution de la conscience, d’émancipation voire d’éveil spirituel. Dans l’absolu, au fil de cette recherche, nous nous sommes efforcés d’exposer les liaisons fondamentales entre l’esthétique et la philosophie, entre le sensible et la raison, entre le fond et la forme, entre la perception et la connaissance, entre le subjectif et l’objectif, entre le naturel (donné, originel) et le culturel (socialement construit), entre l’essence des choses et les vérités (individuelles, collectives) qui la prennent pour fondement. 
Partant d’un large questionnement sur la quête de sens, dans et par le voyage, une quête qui conditionne la construction identitaire de l’individu, nous nous sommes efforcé, par l’étude du vécu du voyageur esthète et philosophe, de dévoiler comment celui-ci chemine au fil de ses rencontres, comment il les éprouve et comment sa conscience évolue à travers elles. Tel le personnage de Bougainville dépeint par Diderot (1772), ce voyageur « est parti avec les lumières nécessaires et les qualités propres à ses vues : de la philosophie, du courage, de la véracité, le désir de voir [la quête esthétique], de s’éclairer et d’instruire [la quête philosophique] » (Diderot, 1972, p.142). Ce vécu à la fois sensible et raisonné, autrement dit cette expérience tant subjective qu’objective du nouvel horizon exploré, a procuré chez ce voyageur de multiples apprentissages, changements, adaptations, voire transformations, en termes de modes de perception, d’interprétation, d’expression et d’orientation. Ces évolutions proviennent initialement des diverses confrontations à l’Autre, des épreuves dans l’ailleurs, des rencontres avec la Nature, avec les individus et avec les idées (ou essences spirituelles), des rapports Je-Cela mais aussi et surtout des relations Je-Tu, c’est-à-dire des rencontres véritables au sens bubérien. En effet, comme nous avons pu l’observer au fil des récits de voyage, ces dernières, vécues et éprouvées dans la pleine intensité de la présence, ont été source d’apprentissages existentiels et d’émancipation, parfois d’émerveillements voire même, en certaines circonstances, de révélations. En elles, réside tout particulièrement la valeur universelle du voyage esthétique et philosophique.
De plus, si des apprentissages découlent des rencontres avec l’Autre, s’ils sont effets signifiants du voyage, ils sont également construction personnelle. Ils s’élaborent en fonction d’un travail réalisé par la conscience individuelle sur l’expérience vécue et sur elle-même. Ce travail intérieur est fusion, différenciation et intégration de significations et de connaissances nouvelles générées par les rencontres éprouvées. Le voyage est donc à la fois rencontre de l’Autre et de Soi, apprentissage à travers l’Autre et introspection ; il est décentration et, d’autre part, retour sur soi (re-centration). L’exercice de la décentration est le propre du voyageur – un voyageur qui se distingue du touriste (cette distinction, selon Boorstin, est présentée p.5-6) – et notamment du voyageur esthète et philosophe puisque celui-ci fait l’effort d’une ouverture sensible à l’Autre pour mieux le comprendre. Aussi, il apparaît que l’effort de décentration, d’autant plus s’il est accompagné d’un exercice de la conscience sur le vécu expérientiel et sur elle-même, permet l’élargissement des perceptions (la pensée nomade, le regard voyageur), avive des facultés sensibles de l’être et intensifie la relation avec l’Autre ; ainsi, il favorise le rapprochement des êtres humains, rend propice la relation véritable (au sens bubérien) et conduit à une existence plus authentique.
En somme, cette expérience permet le dévoilement du caractère du voyageur, la découverte de son identité et de nouvelles perspectives de sens. Dans une large perspective, l’attitude du voyageur esthète et philosophe à la rencontre de l’Autre, associant fondamentalement perception sensible et expérimentation raisonnée, autrement dit faisant l’effort de concilier sensibilité et raison, tend à se perpétuer en un mode d’existence de la conscience. 

La tradition de recherche phénoménologique – et plus particulièrement, la pensée de Buber – ainsi que l’approche interculturelle, nous ont permis d’explorer, à travers l’expérience du voyageur esthète et philosophe, une des multiples façons de rencontrer et d’éprouver l’Autre ; elles nous ont ouvert des pistes de compréhension quant à ce phénomène existentiel. De plus, l’usage du modèle intégral de développement humain de Wilber à favoriser l’interprétation synthétique de l’évolution des voyageurs interviewés.
Au bilan, les données émergentes et les univers de sens dévoilés au fil de cette recherche donnent à comprendre toute l’incertitude du voyage et toute l’ambigüité de la rencontre avec l’Autre. L’ambigüité et l’incertitude étant les composantes fondamentales sur lesquelles se fonde et se développe le jeu de la relation, l’identité du voyageur se retrouve mise à l’épreuve et altérée au-delà même de la volonté de celui-ci et de ses intentions envers l’Autre. Pour autant, fort d’une éthique tournée vers l’Autre[1], dans une dynamique d’exploration au gré du hasard, l’esthète-philosophe retire, de la tourmente du voyage, de riches enseignements, des apprentissages existentiels, une émancipation voire, en certaines dimensions, une transformation intérieure.
Ainsi, le voyage est formateur et permet le déploiement de la conscience du voyageur. Comme nous l’avons exposé au terme du terrain d’enquête (point 4.5), ce déploiement de la conscience s’opère, semble-t-il, d’autant plus harmonieusement :
- s’il y a adéquation entre les quatre dimensions de l’être humain, c’est-à-dire entre l’intentionnel, le culturel, le comportemental et le social, autrement dit adéquation entre les modes de perception, d’interprétation, d’expression et d’orientation,
- si les deux natures fondamentales de l’être humain, la sensibilité et la raison, sont conciliées,
- si l’Autre est véritablement rencontré (au sens bubérien) et reconnu dans ses différences humaines (culturelles), naturelles et spirituelles.
Également, au-delà de ces différences, le voyage esthétique et philosophique est aussi reconnaissance des ressemblances (humaines, naturelles, spirituelles) et, d’une large vision, apprentissage universel. Ainsi, l’esthète-philosophe, au fil de ses rencontres avec l’Autre (avec la Nature, les individus et les idées), est un apprenti universaliste qui tend à s’imprégner de l’essence de la condition humaine et naturelle.

Du voyage esthétique et philosophique vers un mode d’existence de la conscience
Le voyageur esthète et philosophe est un être entier ou du moins il tend vers l’unité de son être, dans le sens où, au fil de ses rencontres avec l’Autre, à travers ses communications avec une totale altérité, il met pleinement à l’épreuve sa sensibilité et sa raison, ses perceptions et ses connaissances. Aussi, fort d’une éthique de la relation à l’Autre, l’esthète-philosophe est également porté par une éthique de l’existence, c’est-à-dire, selon Foucault, une éthique du sujet ou une esthétique de l’existence. En cela, au travers du voyage, il vise la connaissance de soi et l’accomplissement de soi (de sa Légende personnelle, pour Coelho) ; il se lance dans ses aventures et les éprouve comme s’il réalisait une œuvre d’art personnelle.
Plusieurs personnages connus du public représentent la figure du voyageur esthète et philosophe. Nous pouvons notamment évoquer Henri Thoreau, Robert Pirsig ou encore Christopher McCandless. Le premier a séjourné pendant deux années au cœur d’une forêt de l’État du Massachusetts (États-Unis) ; le second a longuement voyagé à moto à travers l’ouest américain ; le troisième a, deux années durant, traversé les États-Unis et l’ouest canadien jusqu’en Alaska afin d’y faire l’expérience de la vie sauvage. Chacune de ces expériences fut retranscrite sous une forme littéraire : Walden ou la vie dans les bois (Thoreau, 1854) traite de l’expérience de Thoreau, Le traité du zen et l’entretien des motocyclettes (Pirsig, 1974) de celle de Pirsig ; quand aux aventures du jeune Christopher McCandless, elles furent relatées dans un roman biographique par Jon Krakauer (Voyage au bout de la solitude, 1996) puis adaptées au cinéma par Sean Penn (Into the wild, 2007).  En ces trois récits de voyage, mêlant esthétique et philosophie, est sous-jacente une critique du monde occidental ; en chacun d’eux, se dégagent des conclusions philosophiques et de nouvelles perspectives d’existence. Ces dernières rejoignent les résultats de notre recherche.
Dès lors, à la lumière de ces récits de voyage et tout particulièrement de ceux que nous avons recueillis et analysés (ceux de Jean-Séb, de Val et de Bruno), en considération des références théoriques qui sont venues alimenter notre réflexion, nous proposons de conclure par la présentation concise du mode d’existence du voyageur esthète et philosophe, tel que nous le percevons intuitivement au terme de cette recherche et tel que nous le valorisons.
Sans trop de préparation, sans trop d’attentes, mais riche d’un espoir et d’un optimisme porteurs, ce voyageur explore l’inconnu et se prédispose à l’émerveillement, à la découverte subtile des différences et des essences. L’esthète-philosophe tente plus de voyager que d’arriver quelque part ; il accorde plus de valeur au cheminement qu’à la destination ou au but à atteindre. En cela, Pirsig dira que « Le seul Zen qu’on puisse trouver au sommet d’une montagne, c’est le Zen qu’on y apporte » (Pirsig, 1978, p.208). Dès lors, la sagesse que l’on trouve ou que l’on acquiert, l’émerveillement ou la révélation qui surviennent dépendent non seulement de la perception sensible du voyageur, de ses facultés d’interprétation et d’expérimentation, mais aussi de l’avancement progressif de celui-ci et de l’intensité de l’effort réalisé (du dépassement de soi), de son imprégnation des cultures rencontrées et des espaces naturels traversés, autrement dit de sa manière de cheminer dans l’ailleurs, d’entrer et d’être en relation avec l’Autre qui se présente à lui.
Au fil de son parcours, il s’ouvre au monde, le ressent et l’éprouve. Il l’observe et le contemple, il tâte ses formes et ses pulsations, il écoute ses sons, bruissements et vibrations, il goûte à ses saveurs, il flaire le temps, il médite. Il pense aux paysages traversés, aux découvertes, à ses rencontres, à la signification que prend pour lui son voyage. Sensible à l’environnement, il est également à l’écoute de son cœur et de ses instincts. Ainsi, il s’émerveille devant des différences et les essences, parce qu’elles lui apparaissent et parce qu’il parvient à les percevoir, parce qu’il fait de véritables rencontres, pleines et intenses, parce qu’il vit ces dernières de tout son être.
À la rencontre de l’Autre, de la Nature, de cultures différentes, d’idées différentes, d’une part, il se prépare raisonnablement pour faire face aux embûches qu’il estime pouvoir rencontrer, d’autre part, il demeure, d’une perception sensible, libre et ouvert face à l’Autre, face au voyage. Il voyage en s’appuyant sur les indices qu’il découvre en chemin. Explorant l’inconnu et le hasard, il se laisse guider et se met à l’épreuve du voyage. Il se laisse influencer par l’altérité qui l’entoure, une altérité sans qui l’émerveillement ne pourrait être, sans qui il ne pourrait apprendre ni s’émanciper. Ainsi, chemin faisant, il s’ouvre à l’action spontanée et instinctive, libre et volontaire, celle qui mène à des découvertes saisissantes, signifiantes, révélatrice des essences, à des apprentissages émancipatoires, celle qui conduit à l’accomplissement de son épopée personnelle. D’un regard sensible aux signes et d’une attitude raisonnée sur le monde, il découvre l’Autre (l’éprouve et l’expérimente) et se découvre lui-même plus intégralement. Il s’imprègne du monde et de ce qu’il rencontre ; il s’altère et se construit. Il élargit ses perceptions sur l’Autre, perçoit ses différences et le fond commun de la vie, une vie tant humaine que naturelle. En d’autres termes, en côtoyant l’Autre, en se familiarisant avec la diversité naturelle et humaine, en communiquant avec ses représentants et ses manifestations, il apprend un langage universel. De la sorte, apprenti universaliste, il prend conscience qu’il fait parti d’un tout englobant, que chaque chose et que chaque être existe et évolue de manière singulière, sur une voie toujours spécifique mais qui sillonne au travers d’autres voies, qui se mêle à elles et cohabite avec elles.
En somme, au terme de cette recherche, nous avons l’intime conviction que c’est en écoutant son cœur et ses intuitions, en captant subtilement et en suivant consciemment les indices qui jalonnent le chemin à parcourir, que le voyageur devient plus à même de percevoir les différences et les essences, de les interpréter avec clairvoyance et de les accueillir, de raisonner par lui-même, de se connaître et de s’accomplir de manière authentique.
Finalement, vivre intensément et pleinement le voyage, c’est, d’une libre volonté, rencontrer véritablement l’Autre dans sa totale diversité, c’est être l’acteur d’un jeu relationnel et harmonieux au sein duquel sensibilité et raison sont mises à l’épreuve, c’est l’occasion d’apprendre par soi-même et de s’émanciper. Dès lors, puisque le voyage est d’une part rencontre et épreuve de l’altérité, d’autre part, découverte de soi et construction identitaire, alors « Ce que l’on risque révèle ce que l’on vaut » (Winterson, 2000, p.101) ; en d’autres termes, le déploiement de la conscience dépend fondamentalement des dimensions du soi (sensibilité, raison, vision du monde, etc.) que l’on accepte de mettre à l’épreuve de l’altérité. C’est ainsi que le voyage, à la fois esthétique et philosophique, peut devenir élan de vie.


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[1] L’éthique de la relation à l’Autre – l’éthique de la responsabilité d’autrui chez Levinas – part d’un principe pratique, celui que l’esthète-philosophe s’efforce d’appliquer dans le voyage et en toute relation : Faire l’effort, en chaque rencontre, d’une bienveillance vis-à-vis de l’Autre, être responsable d’autrui et reconnaître son indéfectible liberté. Progressivement, cette attitude attentionnée, sensible et réfléchie, tend vers un mode d’existence dans la relation, vers une action spontanée : On se détache de ce l’on sait, on ne cherche plus à maîtriser la relation à l’Autre, ni à porter un regard sur l’Autre, on parvient à vivre plus intensément et librement à ses côtés, et ainsi à intégrer avec plus d’évidence et plus pleinement l’échange éprouvé.