GENERALITES

– – – – – – – – – – – – Présentation et résumé

– – – – – – – – – – – – Pertinence de la recherche

– – – – – – – – – – – – Témoignages académiques

– – – – – – – – – – – – Table des matières détaillée

– – – – – – – – – – – – Fichier PDF de la recherche


RECHERCHE

– – – – – – – – – – – – Introduction et interrogations

– – – – – – – – – – – – Cadre théorico-méthodologique

– – – – – – – – – – – – Terrain : les récits de voyageurs

– – – – – – – – – – – – Interprétation et analyse des récits

– – – – – – – – – – – – Conclusion / Appendices / Biblio.


DIVERS

– – – – – – – – – – – – Travaux de recherche 2008-2009

– – – – – – – – – – – – Bricolage de pensées 2008-2010

– – – – – – – – – – – – Citations : sources d’inspiration

– – – – – – – – – – – – Quelques photos de voyageurs



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Pour une éducation à l’altérité (M. Abdallah-Pretceille)



Abdallah-Pretceille, Martine. 1997. Pour une éducation à l’altérité. Dans Revue des sciences de l’éducation, vol. 23, n° 1, p. 123-132.

Martine Abdallah-Pretceille étudie l’expérience de l’altérité dans une perspective axiologique, ontologique et notamment éthique, selon une approche humaniste, universaliste, interculturelle et plus globalement interactionniste. Dans des sociétés modernes hétérogènes, complexes et diversifiées, elle nous invite à reconnaitre autrui – d’une part, les différences en termes de valeurs, la diversité culturelle, la pluralité des perceptions…, et d’autre part les références (humaines, universelles) communes aux êtres – dans la visée d’une plus grande solidarité et d’un mieux vivre ensemble. Selon elle, une éducation « planétaire » – doit nécessairement être envisagée sous le mode de l’apprentissage de l’altérité et suppose une exigence éthique, une éthique de l’altérité et de la responsabilité d’autrui.

Résumé

Les sociétés modernes – marquées par une étrangéité omniprésente – se caractérisent par un processus de différenciation, de séparation entre cultures, sociétés et personnes. Ainsi, bien que les actions collectives reposent sur le partage de références communes, ces dernières tendent à se perdre. Dès lors, le communautarisme ne risque-t-il pas de déboucher sur une différenciation par atomisation au lieu d’une ouverture à l’altérité et à la diversité culturelle ? L’expérience de l’altérité – la rencontre de l’Autre – est de nature fondamentalement éthique, humaine et s’inscrit inéluctablement dans une universalité (dans ce sens, le principe d’universalité rend la communication possible entre deux êtres). L’apprentissage de l’altérité implique de percevoir autrui dans une perspective différente, de le reconnaitre dans sa totale diversité identitaire, d’apprendre à communiquer avec lui. Aussi, au-delà de l’intention et de la volonté, apprendre à communiquer (= une communication spontanée, naturelle, authentique) nécessite une éducation rigoureuse et structurée selon un axe fonctionnel, utilitaire mais aussi et surtout éthique.

L’effet boomerang de l’apprentissage de l’altérité.
La rencontre de l’Autre implique la reconnaissance mutuelle de sujet à sujet ; autrement dit la reconnaissance de l’Autre comme un autre Je, cette dernière passant par la reconnaissance de soi (de sa propre identité complexe et hétérogène, de sa propre subjectivité, étrangeté et pluralité) et réciproquement. Ainsi, pour mieux comprendre autrui, il convient de mieux se comprendre et se connaitre soi-même, dans la mesure où une négation ou un « sacrifice » de soi n’aboutirait qu’à une impasse, à un rejet. Dans ce sens, la rencontre d’autrui nécessite d’apprendre à jeter sur soi (ou sur son groupe) un regard extérieur et distancé, d’apprendre à se décentrer par rapport à soi-même, de pouvoir admettre d’autres perspectives, c’est-à-dire celles d’autrui. Néanmoins, il convient de ne pas tomber dans un excès de différence ni dans un trop plein d’universalité ; le premier regard risquant de se traduire par une distanciation voire un enfermement sur soi, le second par un effacement des spécificités propres à chacun. Enfin, parce que le culturalisme confine à la stéréotypie, l’expression « interculturelle » se justifie par la volonté de mettre en perspective ce double regard dans un contexte « ici et maintenant ».

De l’usage des préjugés et des stéréotypes.
La catégorisation culturelle permet de définir autrui, mais non de le rencontrer et de le comprendre. Un apprentissage à l’altérité doit avoir comme préalable, non pas un déni, un rejet ou une lutte contre les stéréotypes et préjugés, mais bien une reconnaissance de ceux-ci (les filtres cognitifs et psychologiques) puisqu’ils demeurent enracinés dans l’affectif, dans l’inconscient. Dans cette perspective, il convient de prendre conscience de ses propres mécanismes cognitifs et affectifs, de faire l’effort de remettre indéfiniment en cause ses perceptions, représentations et acquis ; ce qui implique une démarche cognitive et expérientielle ouverte et dynamique.

De la nécessité de sortir d’une moralisation des apprentissages interculturels : pour une éthique de l’altérité.
L’éducation est davantage pensée sur le mode de la rééducation que sur celui de la prise de conscience, d’une autonomie et de la responsabilité. Parce que le pluralisme se définit comme la coexistence de systèmes différents (philosophiques, politiques, sociaux, religieux, culturels) et donc de morales (du pluralisme culturel résulte un pluralisme des valeurs et des normes), alors se pose un problème de gestion, de cohésion et de cohérence. Dans ce sens, déjà en 1919, Weber voyait, dans le « polythéisme des valeurs » et dans l’excès de rationalité instrumentale, la destruction de l’universalité de la raison, la destruction du fondement rationnel du lien social. Aussi, l’individu évolue dans une situation paradoxale, entre un besoin de valeurs universelles (une éthique universelle) et un enracinement contextuel régit par des normes singulières (ou morales « régionales » : religieuses, culturelles, etc.). Dès lors, pour éviter la multiplication des conflits, communautarisme et mondialisation doivent s’accompagner d’une éthique transcendante, d’une philosophie éthique de l’altérité – objectivée et rationnelle – selon laquelle la reconnaissance des différences doit nécessairement préserver le principe d’universalité.
Lévinas fait reposer l’éthique sur l’expérience d’autrui, sur la rencontre de l’Autre comme autre, dans une altérité pleine et entière. Il précise que le lien avec autrui ne se noue que comme responsabilité (Éthique et infini, 1982, p.92-93). Néanmoins, l’éthique de la responsabilité d’autrui se caractérise par une absence d’obligation symétrique ; elle exige donc la reconnaissance de l’indéfectible liberté d’autrui. Le lieu propre de l’éthique étant l’interaction, les actions éducatives, de solidarité, d’aide (etc.) impliquent une relation à l’Autre (et non sur l’Autre) et une exigence éthique de l’altérité et du sujet (comme condition préalable à ces actions). Ainsi, comment appréhender autrui sans chercher à le maîtriser ?
Il apparait que les valeurs sont au cœur du questionnement scientifique et éducatif. En effet, aucune structure – institutions, sociétés, etc. – ne peut se passer de visée et de références éthiques (à ne pas confondre avec les obligations morales et normatives), toutes n’existent qu’en raison d’une participation active d’individus ; d’où la nécessité d’introduire une exigence éthique dans le projet de société. Dans ce sens, l’adhésion à une perspective axiologique commune – autrement dit le partage et l’élaboration en commun de valeurs et d’une éthique – permet de tendre vers une cohérence d’ensemble. Enfin, la responsabilité de l’individu envers autrui relève du légal, du pénal mais également d’une éthique, c’est-à-dire d’une réflexion personnelle incessante, d’une démarche critique de questionnement et d’interprétation de l’action et de soi-même dans la relation à autrui.


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Réflexions : Lors de situations de voyage, de découvertes, le voyageur confronte ses schémas de perception, d’interprétation, de compréhension, de conduite et d’expression avec ceux d’autrui ; il réalise et reconnait tout la diversité et toute l’étrangeté contenues en l’autre dès lors qu’il a accepté celles contenues en lui. Ainsi, le voyage enseigne au voyageur la difficile tâche de jeter sur lui-même un regard extérieur et distancé. En ce sens, l’expression « Think out of the box » illustre bien ce phénomène de décentration. Dans la rencontre avec l’Autre, il apprend à partager et à élaborer en commun des valeurs. Par conséquent, l’expérience du voyage apparait être une forme d’apprentissage de l’altérité, une bonne opportunité pour se frotter à autrui. Néanmoins, les apprentissages qui en découlent dépendent de la manière selon laquelle le voyageur perçoit autrui et agit face à lui ; l’Autre ne devant être considéré ni comme une finalité ni comme un moyen utile à un projet, mais bien plutôt comme l’incarnation d’une pleine altérité. Cette attitude, cette éthique implique une responsabilité d’autrui et une liberté d’autrui. Après le voyage, ayant éprouvé au contact d’autrui de nouvelles façons de penser et d’agir, le voyageur aura davantage de capacité à porter un jugement objectif et critique sur lui-même et sur son groupe, à porter un regard plus humaniste et universaliste sur le monde qui l’entoure, reconnaissant les différences (la diversité culturelle, les valeurs, etc.). Dès lors, il incarnera, à sa manière, une éthique de l’altérité.

Questionnements : Comment tendre vers une coexistence harmonieuse des multiples morales « régionales » (divergentes, apparemment inconciliables, etc.), sans dériver vers un totalitarisme ? Dans quelle mesure une éthique universelle et transcendante peut-elle aider à cette cohabitation ? Quels seraient le fond et la forme d’un tel projet (une éducation à l’altérité) : Comment – au-delà de la morale singulière et propre à chaque individu – favoriser la prise de conscience et l’adoption d’une éthique universelle ? Comment la rendre accessible à l’ensemble des êtres humains et applicable en tant que nouveau mode d’existence ?

EB. 2008-09-08.