GENERALITES

– – – – – – – – – – – – Présentation et résumé

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– – – – – – – – – – – – Témoignages académiques

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RECHERCHE

– – – – – – – – – – – – Introduction et interrogations

– – – – – – – – – – – – Cadre théorico-méthodologique

– – – – – – – – – – – – Terrain : les récits de voyageurs

– – – – – – – – – – – – Interprétation et analyse des récits

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DIVERS

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La philosophie de l’aventure (G. Simmel)



Georg Simmel. 2002 [1911]. 
La Philosophie de l’aventure. 
Paris : L’Arche.



Selon Georg Simmel, sociologue hétérodoxe, la PHILOSOPHIE est un mouvement motivé et porté par une attitude d’esprit qui consiste à observer en profondeur les phénomènes de la vie. 
Quant à l’AVENTURE, elle est un fait vécu, séparé de l’ensemble total de la vie, distinct du cours ordinaire de la vie. Elle implique « une tension du sentiment vital » (p.82) : une force vitale dominant le contenu de l’événement, colorant et rythmant le processus de vie. « Par l’intensité de ces tensions, l’événement ordinaire devient une aventure » (p.86 -87). 

RÉSUMÉ DE L’ESSAI « PHILOSOPHIE DE L’AVENTURE » (Pp.71-87).

Comment définir cet événement de la vie que l’on nomme l’aventure ? : La vie est un courant total inébranlable dans lequel se manifestent des contenus qui prennent leur valeur en fonction de l’ensemble. Simmel considère une vie humaine comme un organisme dont les organes seraient les actes et les émotions. Il y a un processus de vie unique dans lequel viennent se manifester les contenus de la vie, reliés entre eux comme par endosmose et exosmose. Chaque événement est bipolaire, il peut signifier ceci et son contraire, et c’est en s’inscrivant dans une totalité existentielle qu’il prend une valeur, et qui peut changer par la suite. En tant qu’éléments constitutifs de notre vie, deux choses disparates, incomparables, peuvent jouer des rôles presque identiques. Un moment de la vie qu’on appelle aventure l’est relativement à la totalité de l’existence. Aussi, dès lors qu’il y a aventure en soi, tout événement peut devenir une aventure.

L’aventure s’oppose au courant immuable de la vie et pourtant est reliée à son centre : En son sens le plus profond, l’aventure se passe en dehors de la continuité de la vie, s’isole de cet ensemble. Par le même mouvement, elle s’y réintègre aussi. Tout en étant un corps étranger à notre existence, elle est reliée à son centre. L’aventure concentre, en un présent donné, le flux dialectique de la vie dans toute son intensité. L’aventure est un pur échantillon de vie, effaçant passé et futur. Dès lors, le contenu vécu compte moins que l’émotion, la sensation d’être rempli dans toutes ses intentions. Simmel définit l’aventure comme une unité de vie ayant un commencement et une fin, moment où la participation à la continuité de la vie devient problématique : sentiment d’étrangeté, d’isolation, de détachement. D’une certaine façon, l’aventure ne se provoque pas, on est happé par elle, malgré nous. Alors qu’est ce qui la déclenche?

L’aventure est un événement organique et non mécanique : « De même qu’un organisme ne détermine pas sa forme dans l’espace par le fait qu’il y a des obstacles qui le compriment de tous côtés, mais parce que l’impulsion de sa vie lui donne une forme par l’intérieur, de même l’aventure n’est pas terminée parce qu’il y a quelque chose d’autre qui commence, mais bien parce que le temps qu’elle occupe, sa limite radicale, correspond à une détermination de son sens intérieur » (p.73). Ici se dévoile la relation intime entre l’aventurier et l’artiste. Chaque œuvre d’art, en tant que forme libérée du flux interdépendant de la vie, en tant qu’organe ayant son centre propre, unité repliée sur elle-même, est une aventure. Inversement, une aventure est une œuvre d’art. Aussi, quel est ce centre autour duquel se replie l’aventure (ou l’œuvre d’art) ? C’est ce qui fait la singularité de l’individu et en même temps le dissout dans l’indifférencié, « une nécessité secrète dont le sens dépasse celui des séries plus rationnelles de la vie » (p.74). Il se manifeste parfois une forme de sens, dans la rencontre du hasard et d’une existence, une signification qui semble impliquer une nécessité. Une aventure n’est pas un événement brutal dont le sens nous reste extérieur, elle n’est pas non plus un événement qui s’inscrit naturellement dans le flux enchaîné de notre quotidien. De l’aventure, au caractère excentrique, se dégage un nouveau sentiment de vie, une nécessité nouvelle venue de l’écart entre le contenu « dû au hasard » et le centre qui donne un sens à l’existence.

Pour l’aventurier, la vie dans sa totalité est ressentie et apparait comme étant une aventure : L’aventurier fait de l’absence de tout système dans sa vie un système en soi et cherche à prouver que des événements extérieurs – même ceux dus au pur hasard – font partie de sa nécessité intérieure. « Celui qui a cette attitude devant la vie doit sentir que celle-ci, dans son ensemble, est dominée par une unité supérieure, laquelle s’élève au-dessus de la totalité immédiate de la vie » (p.75). La vie est alors caractérisée comme ensemble des symptômes de l’aventure. « L’aventure est un hasard fragmentaire, et cependant elle est achevée en elle-même, ainsi qu’une œuvre d’art. Elle réunit en elle toutes les passions, comme le ferait un rêve, et cependant elle est destinée comme celui-ci à être oubliée ; elle fait, comme le jeu, opposition au sérieux, […] et elle se résout en une alternative entre le gain le plus élevé ou la destruction complète » (p.76).

En l’aventure, passivité et action vis-à-vis du monde se réunissent par une force secrète : L’aventure est rare, car elle suppose un état d’esprit composé de deux polarités opposées. D’une part, tout dépend de la force et de la présence d’esprit individuelle : il faut l’allure conquérante et le geste rapide de celui qui saisit le hasard et se fie à sa chance (ce que nous conquérons avec force). D’autre part, nous nous abandonnons complètement aux forces et aux chances de la vie (ce qui nous est donné, une grâce que l’on ne peut forcer), lesquelles peuvent pourtant autant nous favoriser que nous détruire. L’aventure est le point d’intersection du moment de sécurité et du moment d’insécurité ; en d’autres termes, l’aventurier conduit sa vie avec une « sécurité de somnambule » (p.79). Il vie dans un état où le sort du monde et le sort individuel ne seraient pas encore différenciés. Il donne pour base à son action ce qu’il y a de plus incalculable, contrairement à l’attitude commune, soit l’attitude « travailleuse » qui sans cesse veut s’appuyer sur du certain. L’aventure est considérée comme folle. Pourtant, si l’on considère que rien n’est certain, c’est l’attitude rationnelle commune qui apparaît comme folle.



La liaison amoureuse est aventure : la forme la plus naturelle de l’aventure est l’érotisme : La force conquérante en équilibre devant une grâce que l’on ne peut forcer : pour l’aventurier, la personne à séduire est l’incarnation de la vie. Le rapport qu’il y a, entre le contenu érotique et cette forme de vie générale qu’est l’aventure, prend sa racine dans des couches profondes. « L’aventure est en harmonie avec les instincts les plus secrets et avec une intention dernière de la vie » (p.81). En cela, elle se distingue du hasard pur. Ce que l’aventure révèle et que Simmel ne fait qu’entrevoir, c’est que le centre de la personnalité individuelle (le centre de notre être) est le même que le centre de la vie : pur désir, pure aspiration de vie. « Nous sommes les aventuriers de la terre » (p.86). Pour en prendre conscience, il convient de tendre à se libérer des contenus pour s’installer dans le flux de la vie : ce qui est désir sans objet, pure intention. Est-ce possible ? A priori non, sinon, il n’y aurait plus de désir. Le désir a besoin de la fiction de l’objet. À tel point qu’on peut se demander si l’intention ultime de la vie, l’objet ultime du désir, ce n’est pas précisément… l’aventure.

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Réflexions



Les situations de voyages – tous ces moments de confrontation éprouvés dans l’immédiateté de la rencontre (avec la nature, les hommes, les idées) – peuvent devenir et être vécus comme des aventures. Ces aventures – bien qu’elles soient « isolées de (arrachées à) l’ensemble de la vie », bien qu’elles n’aient pas de « point d’attache avec le courant continu de l’existence », elles demeurent néanmoins « en harmonie avec les instincts les plus secrets et avec une intention dernière de la vie » (p.81) – contribuent à l’existence de l’individu qui les éprouve. Elles lui enseignent la diversité et la relativité (les nuances, les contrastes, etc.), l’incertitude, l’instabilité, l’improbabilité du monde dégagées de l’exploration du hasard, des rencontres fortuites avec l’inconnu, et cela avec le concours du destin. Elles lui révèlent de nouvelles visions et émergent en lui de nouvelles idées. Elles l’amèneront à reconsidérer son regard sur les choses, à modifier ses schémas de perception et d’interprétation, à changer ses modes de conduites et d’expression. Aussi, un seul événement – dépendamment des dispositions d’esprit dans lesquelles il est vécu, s’il est éprouvé avec force et intensité dans l’instant présent, avec subjectivité et humilité, par l’être intégral et dans le sens d’une « véritable rencontre » telle que définie par Martin Buber (Buber, Je et Tu, 1923) – peut devenir une aventure et mener à une transformation interne, à un bouleversement qui touche l’existence du voyageur dans sa globalité. De plus, toute aventure – parce qu’elle se caractérise nécessairement par un don du sort, parce qu’elle inclut « une faveur d’une puissance sur laquelle on ne peut compter » (p.80) – participe fatalement à la destinée. Ce mode d’existence dans le voyage qu’est l’aventure implique des dispositions d’esprit et une intentionnalité que nous pourrions tenter d’exprimer de la sorte. L’aventurier est celui qui croit en sa propre force de vie, en cette force intérieure pouvant effectuer à elle seule ce qu’elle ne peut cependant réaliser que par le concours incertain des puissances du destin. En d’autres termes, nous devenons des aventuriers dès lors que « notre existence se compose de moments dont chacun est déterminé à la fois par l’effet de notre force, et par un abandon à des forces et à des choses impénétrables » (p.85), dès lors que nous acceptons deux sentiments conjoints : d’une part, celui de se fier à sa propre force et d’autre part celui de croire en sa bonne étoile.

VOYAGER COMME ON EXULTE. Cette manière d’aborder le voyage apparait être des plus enrichissantes. Néanmoins, elle a, à mon sens, un revers : le trop plein d’intensités émotionnelles peut conduire à une totale désorientation et à la destruction complète de l’être. Dès lors – au-delà de l’idée absurde de vouloir rationnaliser tout événement de la vie – apparait un élément essentiel : il s’agit de celui du centre de la personnalité individuelle, ce centre vital qui maintient et donne un sens à l’existence. À mes yeux, il conditionne le bien-être, l’équilibre psychique, l’accomplissement et l’épanouissement de l’être. Toutefois, ce centre – bien qu’il soit « individuel » – dépend étroitement du monde qui nous entoure, puisque par essence l’être humain est homo dialogus.



Questionnements :

- L’aventure – telle qu’elle est définie par Georg Simmel – ne s’apparente-elle pas à la « véritable relation » telle qu’elle est présentée par Martin Buber (Buber, Je et Tu, 1923) ? Toutes deux sont ponctuelles, éphémères, délimités dans le temps et l’espace, toutes deux se vivent intensément dans l’instant présent. À mon sens, elles se rejoignent et se mêlent dans la pratique de toute existence humaine.

- Dans quelle mesure, dans quelles conditions les concepts de "déterminisme" et de "fatalisme", de "rationalité" et de "subjectivité" s’entrelacent-ils pour composer l’existence ?



EB. 2008-08-14.